LES GROS MALINS DE LA FINANCE, par François Leclerc

Billet invité.

La liste des banques ayant trempé dans une manipulation financière n’est pas difficile à établir : toutes les mégabanques ont été prises la main dans un pot à confiture et le plus souvent dans plusieurs. Celle des marchés sur lesquels les fautives ont pêché n’a également pas cessé de s’allonger au fil des ans.

Dernier en date, le marché des bons du Trésor américains, le Graal du système financier en raison de sa parfaite liquidité. Le Département des services financiers de l’Etat de New York (DFS) mène l’enquête, soupçonnant de manipulations neuf des principaux animateurs du marché, dont la Société Générale et BNP Paribas. Goldman Sachs, Barclays, Deutsche Bank, Bank of Montreal et Bank of Nova Scotia (Canada), Credit Suisse et Mizuho seraient aussi concernés.

Les manipulations auraient pu intervenir lors des adjudications des bons du Trésor, ou lors des transactions sur le second marché, aboutissant au gonflement de leur prix à l’occasion de leur vente aux investisseurs clients des banques. Une plainte en nom collectif contre vingt-deux d’entre elles – toujours les mêmes – avait été déposée en juillet par un fonds de pension de fonctionnaires de Boston (est), le State-Boston Retirement System, et l’enquête préliminaire du DFS y fait suite. Rien n’est encore établi, mais on ne prête qu’aux riches…

Ce marché des bons du Trésor est le lieu d’énormes spéculations. Un obscur hedge fund, Element Capital, a été remarqué pour y faire valser des dizaines de milliards de dollars qui dépassent de très loin les fonds qui lui ont été confiés. D’énormes volumes financiers doivent en effet être engagés, tant les bénéfices finaux qui peuvent être attendus de ces activités spéculatives sont faibles en pourcentage. Pour les mener, il emprunte donc sur le marché et représente un danger systémique de plus dans un monde qui en est fait par construction. La réglementation ne prévoit en effet comme règle lors des enchères qu’un plafond d’acquisition de 35% du montant d’une adjudication pour un investisseur donné.

La spéculation repose sur un mécanisme de base simplissime, pari sur la baisse de la valeur des bons du Trésor résultant de la hausse du taux de la Fed, lorsqu’elle interviendra. Mais, en dépit de l’achat de futures destiné à se prémunir d’une hausse de leur prix, son édifice financier est fragile : les intérêts sur les sommes empruntées au départ pour acquérir les bons du Trésor courent, amoindrissant le bénéfice escompté ou pouvant aboutir à des pertes.

Pier Carlo Padoan, le ministre italien de l’économie, a admis s’être rendu compte « un peu tardivement » de l’état des banques italiennes et a relancé le projet de création d’une bad bank qui traînait dans toutes les antichambres depuis longtemps. Celle-ci permettrait d’évacuer des bilans bancaires les masses de créances douteuses dues à la récession. Lui faisant écho, Margrethe Vestager, la commissaire européenne chargée de la concurrence, a accordé son blanc-seing à l’opération, mais a fait remarquer que « il faudra imposer des conditions à sa restructuration, étant donné qu’il sera fait appel à l’argent des contribuables »… On nous avait pourtant dit sur tous les tons que c’était fini grâce à l’Union bancaire !