LES MOTS DEVIENNENT JUSTES, LES ACTES PAS ENCORE, par François Leclerc

Billet invité.

En reconnaissant être confrontés à un exode de réfugiés, les dirigeants européens ont fini par trouver les mots justes qu’ils évitaient de prononcer. En annonçant qu’il va se poursuivre des années, sa vraie dimension a été reconnue par l’ONU et Donald Tusk, le président du Conseil européen. Des pays se vident de leur population pour cause de guerre sans fin, de dictature dans le cas de l’Érythrée.

Alors qu’est attendue pour demain la proposition de la Commission d’accueillir 120.000 réfugiés en plus des 40.000 déjà prévus, Angela Merkel a mis les pieds dans le plat en déclarant qu’elle était « un premier pas important » et que les quotas d’accueil des réfugiés devaient être un dispositif permanent et ne pas être plafonnés, soutenue en cela par Jean-Claude Juncker. Personne ne se hasarde à chiffrer le nombre des réfugiés à qui l’asile sera accordé, mais le HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) a fait savoir le 7 septembre que, depuis janvier, 380.000 personnes avaient déjà réussi à rejoindre l’Europe : 258.365 sont parvenus en Grèce, 121.000 en Italie, 1.953 en Espagne et 94 à Malte. 80 % d’entre eux peuvent être considérés comme des réfugiés, Syriens (51 % à eux seuls), mais également Afghans, Irakiens, Somaliens et Érythréens.

Dans l’immédiat, une majorité qualifiée devra être trouvée pour adopter la proposition de la Commission, les pays de l’Est européen ayant manifesté leur refus ou des réticences qu’il va falloir surmonter. Les conditions de l’accueil feront ensuite la différence, mais nous n’en sommes pas là. Celui que les Allemands ont réservé aux réfugiés a été relevé pour sa chaleur spontanée, mais d’autres démonstrations se préparent. En particulier en Espagne, où la maire de Barcelone Ada Colau a proposé dès la fin août la création d’un réseau européen de « villes-refuges » qui a commencé de se constituer. Les initiatives et les offres ont fleuri dans tout le pays via les réseaux sociaux, les Espagnols ayant la mémoire de leur propre exode. Au Royaume-Uni et en France, où les gouvernements faisaient profil bas, la pression de l’opinion publique a pesé, les conduisant à changer d’attitude.

Voilà qui fait contraste avec les obstacles et dangers que continuent de rencontrer ceux qui poursuivent leur exode en traversant la Méditerranée ou en empruntant la route des Balkans. Sur cette dernière, le parcours commence dans les îles grecques, où ils sont entassés par milliers, avant de rejoindre le continent et poursuivre vers la Macédoine, puis la Serbie, avant de parvenir en Hongrie. Là, tout y est fait pour décourager l’entrée, en attendant la construction d’un mur à la frontière. Les réfugiés sont parqués dans des camps qu’ils essayent de fuir et, sans moyens de transports, ils entreprennent des marches impossibles de plusieurs centaines de kilomètres pour essayer de rejoindre l’Autriche. Une loi hongroise prévoyant des peines de prison pour franchissement illégal de la frontière va entrer en vigueur le 14 septembre et a conduit le HCR a réagir, au motif qu’elle « pourrait créer le chaos ».

Cela tranche aussi avec l’attitude misérable de ceux qui, chefs de gouvernement ou maires de droite de quelques villes en France, ne veulent hypocritement accueillir que des chrétiens et refusent dans les faits les musulmans. L’auraient-ils dit pour les juifs aussi ? Les esprits chauvins font état de l’intérêt qui, plus que la compassion, anime selon eux un gouvernement allemand cherchant à suppléer au vieillissement de la population. L’afflux de réfugiés est en effet présenté en Allemagne comme « une chance » pour le pays, mais pourquoi lui serait-elle réservée ?

Dans toute l’Europe, le discours de la peur est balayé.