Billet invité.
Emmanuel Macron ne doute décidément de rien. Prenant la suite de François Hollande et de sa proposition « d’avant-garde de la zone euro » de juillet dernier, qui a fait un gros plouf, le ministre de l’économie français lance à son tour une bouteille à la mer en accordant une interview au quotidien bavarois Süddeutsche Zeitung. Avec comme intention de tout simplement « refonder l’Europe ».
Dans un louable souci d’équilibre, le ministre annonce aux gouvernements allemand et français que chacun pourrait mieux faire, le premier en abandonnant son tabou à propos des transferts financiers, et le second en entreprenant des « réformes » (entendant par là des mesures libérales, les seules qui comptent). Immanquablement, ses propositions reposent sur une construction institutionnelle, sous la forme d’un « gouvernement économique européen fort ».
Car, question contenu, on reste sur sa faim : celui-ci « serait tenu d’agir dans le seul intérêt de l’ensemble de la zone monétaire. Par exemple, il pourrait veiller aux transferts financiers nécessaires lorsqu’un pays est affecté par une crise ou promouvoir les réformes souhaitables pour éviter les divergences entre nos économies. » Nous sommes toutefois gratifiés d’une explication complémentaire : « malgré toutes nos différences – nous avons un modèle de société unique : la liberté individuelle, couplée à la justice sociale. C’est fondamentalement différent de l’ordre ultralibéral en Amérique ou du capitalisme d’État en Chine. » Et cela laisse de la marge pour agir !
Si l’on entre dans les détails, on apprend qu’un commissaire de la commission, qui présiderait l’Eurogroupe, pourrait « attribuer des moyens d’investissement ou parler de politique du marché du travail » (voilà pour le social). Question moyens, la vision du ministre n’est pas figée. La planche de salut du Mécanisme européen de stabilité saisie et les eurobonds destinés refinancer la dette existante écartés – mais la possibilité d’aller emprunter sur les marché accordée – les États membres pourraient reverser une partie de leurs recettes à un pot commun. On attendra pour décider d’un impôt européen. Enfin, un parlement de la zone euro sera institué, afin de donner une onction démocratique formelle à ce dispositif reposant sur un abandon de souveraineté, avec l’espoir que ce parlement sera facile à contrôler. En filigrane, un nouveau déficit de démocratie ! Le modèle de l’Eurogroupe auquel il est fait référence n’est pas des plus encourageants.
Afin d’emporter une décision qui supposera une modification des traités, dans un contexte que l’on s’accordera à considérer comme peu favorable, le ministre pense avoir trouvé le moyen de faire rêver « les gens qui adhèrent à l’idée de l’Europe », car « les politiques ne satisfont pas aux exigences de ce rêve ». En sera-t-il capable ? « Nous avons besoin d’un grand coup », proclame-t-il en s’instituant porte-parole de sa génération, car celle-ci doit selon lui « rénover l’Europe de fond en comble ». « L’Europe a perdu sa direction, son sens », mais Emmanuel Macron est là, qui s’inscrit modestement dans la lignée de ses pères fondateurs afin de rompre avec « une décennie perdue ». Car, non sans lucidité, une constatation s’impose à ses yeux : « les gens ne nous suivent plus si on leur dit pas où nous allons » (sic) et « les forces centrifuges sont très fortes, politiques et économiques… ».
Au moins, le ministre aura essayé.