Billet invité.
Une page est bien tournée. L’Union bancaire, la taxe sur les transactions financières et la séparation des activités bancaires, ces trois grandes réformes financières présumées ont sombré dans d’interminables consultations européennes avec la complicité active de leurs organisateurs.
Un document de la Société Générale délivre l’argumentaire des lobbies bancaires qui ont tout fait pour y parvenir, avec l’assentiment des autorités politiques : il ne faut pas toucher à « la compétitivité des places financières continentales » et priver « l’économie européenne d’investissements nécessaires à la relance ». La Fédération des banques françaises (FBF) estime pour sa part que la séparation des activités spéculatives des banques, « pourrait être la réglementation de trop, au potentiel destructeur pour l’économie européenne, particulièrement en cette période de reprise difficile ».
Le Conseil de résolution unique de l’Union bancaire se prépare à la gestion de la faillite d’une banque. Mais la directive européenne n’a pas précisé toutes les règles du « bail-in » (renflouement sur ses fonds propres et créances). Présenté comme « technique » pour le rendre anodin, le sort qui va être réservé aux titres subordonnés, aux dépôts des grandes entreprises et aux contrats dérivés reste en suspens. Un argument magique a été trouvé pour protéger ces derniers : les chaînes d’exposition et les mécanismes de ces contrats créent un risque systémique imprévisible…
En charge des recapitalisations bancaires, Le Fonds européen de résolution ne disposera que de 5,5 milliards d’euros début 2016 et ne réunira 55 milliards d’euros que dans dix ans. Minorant cette force de frappe ridicule, ces fonds seront compartimentés suivant leur pays d’origine et ne pourront que partiellement renflouer les banques d’un pays tiers. Et, s’il est bien prévu de pouvoir lever des fonds sur le marché, la garantie des Etats fonctionnera selon cette même logique nationale. Cette union n’en est pas une !
Les grands principes de la taxe sur les transactions financières (TTF) vont être arrêtés pour entrer en vigueur au 1er janvier prochain. Cinq ans auront été nécessaires pour accoucher d’une souris. La taxe ne concerne pas le Royaume-Uni et les Pays-Bas, ces importants centres financiers européens, et des questions présentées une fois de plus comme « techniques » ne sont pas résolues : ni l’assiette, ni le taux, ni la destination des fonds ne sont encore fixés. Le sort des produits dérivés est à nouveau sur la sellette, ainsi que ceux des activités de tenue de marché et de trading à haute fréquence… Afin de les préserver de la taxe, l’Association française des marchés financiers dénonce cette « épée de Damoclès insupportable ».
Presque cinq années auront aussi été nécessaires pour que le feu vert soit donné à un projet de séparation des activités de dépôt et de marché des banques, présenté comme « un élément tout a fait central permettant d’achever la réforme favorisant la stabilité bancaire ». Les banques britanniques en sont exemptées, ayant leur propre réglementation, et la Fédération bancaire française crie au désavantage compétitif, mettant également en cause le ratio de l’effet de levier en cours de discussion au sein du Comité de Bâle, qui favoriserait les banques américaines.
Suite au rapport Liikanen commandé par la commission, le commissaire Michel Barnier est ensuite intervenu. Auparavant, le gouvernement français avait adopté sous les auspices de Pierre Moscovici, du temps où il en était ministre des finances, un ersatz de loi de séparation des activités bancaires. On ne connait pas encore le projet final, mais la séparation des activités spéculatives des banques – le trading pour compte propre – implique que ses dispositions soient rigoureuses afin de ne pas être contournées. Il serait prévu que la BCE puisse prendre la main en cas de prise de risques excessifs des banques, ce qui laisse à craindre, pour qu’un tel garde-fou soit prévu, que les règles resteront floues.
La partie n’est pas tout à fait terminée. Une relance de la titrisation est activement recherchée et des mesures de régulations des produits dérivés sont encore à venir. L’Autorité bancaire européenne (ABE) préconise la diminution de la charge en capital des opérations de titrisation décidée par le Comité de Bâle. Le commissaire Jonathan Hill devrait la mettre en musique cet automne et décider dans la foulée de mesures similaires pour les compagnies d’assurance dans le cadre de Solvency II, afin que le secteur apporte sa contribution à cette relance de la titrisation. Deux arguments imparables sont évoqués pour le justifier : la titrisation européenne a été sage comparée à l’américaine, et seules des opérations « qualifiées » pourront en bénéficier.
Des textes de la Commission européenne sont donc attendus afin de développer le crédit en faveur des PME et de favoriser la désintermédiation bancaire. Il est promis que celle-ci sera transparente et ne concernera que des actifs de très bonne qualité. Mais la profession défend le système des tranches qui permet d’inclure dans une opération de titrisation des actifs plus risqués et l’on voit se lancer des sociétés financières spécialisées qui vantent les mérites de leur algorithme d’analyse de risque…
En application des engagements pris lors du G20 de Pittsburg de… 2009, ainsi que de la règlementation européenne EMIR datant de 2012, la Commission a finalement décidé de rendre progressivement obligatoire l’utilisation de chambres de compensation (CCP) pour les transactions portant sur un large secteur des produits dérivés, qui représente 80% de celles-ci. Au sein de l’Union européenne, le volume des transactions sur ces contrats était estimé par la Banque des règlements internationaux à plus de 1.500 milliards d’euros en 2014. Le gigantisme de ce montant donne toute la mesure des problèmes qui attendent les régulateurs pour parfaire leur dispositif. Car, dans l’immédiat, pour régler un problème ils en créent trois autres. L’utilisation des CCP va certes donner de la lisibilité sur un marché de gré à gré qui en est dépourvu, mais celles-ci vont concentrer le risque en leur sein et représenter un très grand danger potentiel si l’une d’entre elle s’effondre. Comment le risque va-t-il être évalué afin de procéder aux appels de marge ? Avec quel collatéral pourra-t-il y être répondu ? Comment faire face à l’effondrement d’une CCP si elle intervient finalement ? L’affaire est à suivre dans le détail…
Avec une opiniâtreté qui ne désarme pas, le système oligarchique fait obstacle à tout ce qui le met en cause et crée avec constance les conditions de l’amplification d’une crise dont il ne sort pas.