Billet invité.
En s’installant à l’échelle européenne, le dernier stade de la crise politique est engagé. Au vu du désastre qu’elle représente, la Grèce a catalysé un débat qui part dans tous les sens. Il ne porte plus qu’accessoirement sur ce qui va advenir d’elle, mais sur le sort de l’Europe, au prétexte que son fonctionnement a été mis à mal et qu’il faut faire quelque chose, mais quoi ?
Cette approche en masque une autre sous-jacente : deux orientations divergentes et latentes émergent devant la déconfiture d’une politique économique qui n’a en ligne de mire que le désendettement, sans y parvenir si l’on considère la zone euro dans son ensemble. Pas plus qu’à relancer l’économie et réduire la pression déflationniste. Le chef de mission du FMI pour la zone euro, Mahmoud Pradhan, vient de confirmer que « plusieurs facteurs pèseront sur la croissance au cours des cinq prochaines années », énumérant un « chômage élevé, surtout chez les jeunes », un « lourd endettement des entreprises » et « l’accroissement des créances improductives du secteur bancaire ». A ce sujet, le FMI appelle à un nouvel assainissement des bilans bancaires, signalant que l’on n’en a pas fini avec les banques. Au titre des solutions globales, les gouvernements européens mettent en avant l’empilement de règles contraignantes inspirées de la doctrine ordo-libérale ou des solutions organisationnelles destinées à ouvrir politiquement le jeu. Pour sa part, le FMI préconise la poursuite de l’assouplissement quantitatif de la BCE…
Les préparatifs de la bataille européenne vont bon train : les propositions fusent et les alliances se construisent. La Frankfurter Allgemeine fait état d’une nouvelle offensive en gestation de Wolfgang Schäuble, destinée à amoindrir le rôle de la Commission, qui serait préparée de concert avec Jeroen Dijsselbloem, dans la perspective de la présidence hollandaise de l’Union européenne au premier semestre 2016. Selon ce plan, les responsabilités de la Commission en matière de contrôle des règles communautaires devraient être disjointes de sa mission proprement politique d’exécutif européen afin d’être confiées à une « autorité indépendante ».
La conjuration semblerait avoir été plus loin, des contacts avec le gouvernement britannique auraient été pris à son propos, ce dernier ayant ses raisons propres de favoriser un tel remaniement du dispositif. Selon le quotidien allemand, les projets de gouvernement économique – ou de gouvernance pour les Français – ne seraient que des propositions tactiques ou des leurres destinés aux opinions publiques allemande et française et n’auraient aucune chance d’aboutir. D’ailleurs, les cinq économistes qualifiés de Sages en Allemagne ont dans leur rapport fait état d’« énormes différences » de priorité au sein de l’Union monétaire, qui rendraient problématique la réalisation d’un tel projet : la fidélité aux règles et un contrôle plus poussé de leur application pour les uns, et le pragmatisme politique aux commandes d’un budget européen pour les autres, ne s’accordant pas.
Le débat n’est pas académique, allant se poursuivre de manière plus ou moins ouverte sur fond de relance de la crise grecque. On voit mal en effet les contradictions entre les créanciers se résorber et l’opposition interne à Syriza s’atténuer, si de nouvelles mesures sont comme prévu exigées afin de compenser le retour du pays dans la récession et la réalisation d’un déficit budgétaire, au lieu de l’excédent prévu. Parallèlement, la venue à Athènes du chef de mission du FMI continue à tarder, laissant supposer des tractations entre créanciers qui n’aboutissent pas, avec comme enjeu la participation ou non du Fonds au nouveau plan.
Le compromis péniblement trouvé à propos de la Grèce lors du dernier sommet des chefs d’État et de gouvernement symbolise l’état réel de l’Union européenne. Les deux pays considérés comme étant son moteur – entre lesquels un compromis est indispensable à son fonctionnement – n’y sont parvenus qu’au prix de la définition d’un plan mort-né. Comment pourraient-ils se mettre d’accord sur une vision commune de la zone euro, tiraillés comme ils le sont par des intérêts de plus en plus contradictoires ?
Cela ne rend que plus urgent d’affirmer un nouveau projet sortant du cadre qu’à eux deux ils représentent, sans s’en tenir à un débat étriqué sur la monnaie commune, en définissant dans tous les domaines les principes qui devraient présider à une relance européenne et au changement de société qui va de pair. Quand un débat est ouvert, pourquoi ne pas en profiter ?