Billet invité.
Dans les propos tenus par Yanis Varoufakis à ses interlocuteurs de l’Official Monetary and Financial Institutions forum de Londres, les préparatifs d’un réseau alternatif de paiement interne à la Grèce ont le plus retenu l’attention en raison de leur caractère spectaculaire. Sa description des divergences au sein du camp des créanciers est pourtant autrement plus instructive et éclairante pour l’avenir des négociations qui viennent d’être à nouveau engagées.
Ayant été placé aux premières loges, l’ancien ministre des finances décrit deux camps, celui de Wolfgang Schäuble et du FMI qui ne souhaite pas qu’un accord soit conclu – le FMI pour ne pas prêter une seconde fois à un pays insolvable – et celui d’Angela Merkel et de la Commission, qui recherche le contraire. Pour Yanis Varoufakis, cette divergence ne va pas pouvoir être résolue et l’on comprend qu’il s’y soit préparé.
Les obstacles s’accumulent à Athènes, l’opposition interne à Syriza prenant de l’ampleur. Mais si elle peut aller jusqu’à provoquer une scission, elle n’empêchera pas le premier ministre de trouver une majorité au Parlement comme cela a déjà été le cas, s’il y est déterminé. C’est en Allemagne qu’il faut rechercher la clé de ce qui va suivre.
Là aussi, la chancelière dispose d’une majorité au Bundestag en raison du vote du SPD, mais c’est au sein de son parti, la CDU, que les événements déterminants se passent. Wolfgang Schäuble y mène désormais la danse et ne soutient Angela Merkel qu’à condition qu’elle s’aligne sur ses positions. Il ne se contente plus de pousser la Grèce hors de la zone euro, mais entend désormais en profiter pour faire prévaloir sa conception de l’Europe.
Celle-ci repose sur l’application de règles budgétaires strictes érigées en principe économique exclusif. Deux garanties doivent être apportées par la configuration qu’il propose : les règles budgétaires ne doivent pas pouvoir être transgressées, et tout abandon de souveraineté doit avoir pour objectif le respect de cette politique, et la prospérité en découlera selon lui.
La vision du ministre allemand n’est pas celle d’une Europe sous domination allemande, mais d’une entité reproduisant son modèle économique, imposant de couper les branches mortes – les pays qui n’y parviendront pas – et d’imposer aux récalcitrants d’appliquer cette ligne sans faillir. Il va sans dire que le gouvernement français est visé en premier lieu. Mais la réussite de cette politique est à démontrer, ce qui n’a pas été le cas, conduisant à un délitement non maitrisé de la zone euro et à de sérieux soubresauts politiques et sociaux.
La crise politique européenne se manifestait jusqu’à maintenant pays par pays, à son rythme et suivant ses modalités propres. Une autre crise au niveau de l’Union européenne et de la zone euro qui en constitue le cœur s’y superpose désormais. C’est en prévision de ces développements prévisibles que François Hollande a pris l’initiative de lancer son projet « d’avant-garde », qui ne fait qu’anticiper ce qui va se passer. C’est aussi en raison de l’échec de la finalisation de l’accord sur la Grèce intervenu au sommet, dont la mise en musique soulève des désaccords probablement insurmontables, que Yanis Varoufakis a rendu public les raisons de sa démission et les préparatifs de son plan « B ». Celui-ci n’a pas été mis en action mais peut toujours servir !
Le débat sur la sortie de l’euro est dépassé par les évènements. Une dynamique est engagée qui va régler le problème pour nombre de pays appelés à se soumettre ou se démettre. Quel est l’intérêt d’anticiper ? C’est sous un autre angle qu’il faudrait sans tarder engager le débat pour ne pas être démuni. Ce qui est en question, c’est la nature de l’Europe, une problématique indissociable de celle de la nature de la société dans laquelle nous voulons vivre.