Billet invité.
A quelles conditions un accord va-t-il pouvoir être trouvé, à la suite d’une journée tumultueuse faite de rencontres bilatérales et de réunions au sommet ? Comment pourra-t-il être reçu en Grèce ? Impossible de répondre en raison de la volonté d’obtenir encore plus de l’équipe de Syriza. Les propositions grecques sont « un bon point de départ » a reconnu Angela Merkel, « Les bases d’un accord sont réunies » a conclu François Hollande, elles représentent « une avancée majeure » pour Jean-Claude Juncker, mais encore…
Un nouvel Eurogroupe devra trancher mercredi soir et le sommet de fin de semaine rajoutera la Grèce à son ordre du jour afin de donner sa bénédiction. Afin d’éviter toute équivoque, le gouvernement grec a publié ses propositions, et Alexis Tsipras a fait valoir en s’adressant aux Grecs que « notre critère de base, c’est la justice sociale », afin de se démarquer des références technocratiques à une « trajectoire budgétaire ». Le gouvernement grec s’est finalement aligné sur les demandes d’excédent budgétaire des créanciers, mais il s’est efforcé d’y parvenir en privilégiant les augmentations de taxes visant les hauts revenus, les biens de luxe et les entreprises. Ainsi qu’en prévoyant des coupes dans le budget militaire. Les privatisations vont bien se poursuivre, mais dans un cadre contrôlé par opposition à la précipitation dans laquelle le précédent gouvernement avait opéré. Toutefois, les mécanismes de pré-retraite vont être supprimés et les cotisations de santé augmentées. Le détail des augmentations de la TVA, qui touche sans distinction les plus démunis reste le principal point litigieux. Les créanciers font de la mise en cause des lignes rouges une question de principe.
Pour le gouvernement grec, l’enjeu sera de faire accepter ce paquet de mesures, ainsi que celles qui pourraient suivre, face à la montée au sein de Syriza d’un courant d’opposition grandissant dont il est difficile d’apprécier la portée. Un refus de vote des députés Syriza n’empêcherait pas l’adoption de l’accord par le Parlement mais pourrait aboutir à un déplacement de la majorité, une surprise divine pour des créanciers soucieux de ne pas poursuivre les négociations sur le mode où elles se sont engagées. Ce qui a incité Gabriel Sakellardis, le porte-parole du gouvernement, à préciser le scénario du vote au Parlement : « Si l’accord n’a pas l’approbation des députés de la majorité gouvernementale, le gouvernement ne peut pas rester ». Les sondages donnaient en début de semaine Syriza recueillant dans d’éventuelles législatives à venir près de la moitié des suffrages et des deux-tiers des sièges à lui seul …
Animé par la crainte d’une majorité de rechange, Alexis Tsipras a aussi réaffirmé vouloir « une solution complète et viable, accompagnée d’un paquet fort de croissance, qui rendra viable l’économie grecque et la capacité du pays de rester sur ses pieds », afin de pouvoir en faite état. Jean-Claude Juncker a répondu en lançant dans la discussion « un paquet de 35 milliards d’euros de fonds pour la croissance et l’emploi en Grèce », mais sans plus de précision. Dans la même intention, le document énumérant les propositions grecques insistait sur le fait que l’accord « doit régler la question de la dette et du financement de moyen terme de l’économie, afin de mettre un terme au cercle vicieux de l’incertitude ».
Ne pouvant plus ignorer le sujet de la dette, Angela Merkel a lancé que « ce n’est pas la question la plus urgente » et Jean-Claude Juncker que « ce n’était pas le moment d’en discuter ». François Hollande en a également convenu, tout en faisant remarquer que « l’allongement des délais ou le reprofilage de la dette, cela ne pourrait venir que dans une seconde étape », en l’envisageant. Tous avaient en tête la phrase lancée par Jack Lew, le secrétaire d’État au Trésor américain, qui a conversé avec Alexis Tsipras au téléphone après avoir demandé aux dirigeants européens de faire « leur part du travail ». Mais le « reprofilage » en question élude la vraie question : celle de l’effacement partiel de la dette…
Dans l’immédiat, le gouvernement grec a fait savoir qu’il acceptait le principe d’une nouvelle prolongation du plan de sauvetage en cours, nouvelle concession de sa part. Car cela implique pour lui de rester sous la pression de ses créanciers, qui ne débloqueront les fonds qu’au compte-goutte dans le cadre de la poursuite des négociations. Mais il a maintenu sa proposition de financement du remboursement des titres de la dette publique détenus par la BCE par le Mécanisme européen de stabilité qui lui éviterait de se trouver dans cette situation.
Dans la Süddeutsche Zeitung, Jurgen Habermas, le philosophe survivant d’une génération de grands intellectuels européens, qualifie la crise de la zone euro actuelle de « coma post-démocratique », les élites politiques se cachant selon lui derrière leurs électeurs. La Grèce, décidément, n’est pas un cas particulier.