POUR EN FINIR AVEC LES MIRACLES ESPAGNOLS ! par François Leclerc

Billet invité.

Une dynamique s’est enclenchée en Espagne, qui n’est pas celle dont les plus hautes autorités européennes se prévalent. En attendant de s’exprimer aux prochaines élections législatives, dans quelques mois, les Espagnols ont trouvé leur voie. Les deux candidates des plates-formes citoyennes Manuela Carmena et Ada Colau devraient être aujourd’hui investies maires de Madrid et de Barcelone. .

A chacun son symbole : un bal populaire est organisé ce soir à Madrid et les places d’honneur de la cérémonie de Barcelone de l’après-midi seront réservées aux représentants des organisations luttant contre la pauvreté et l’exclusion, tandis que le cardinal sera relégué avec les autres religieux. Manuela Carmena a annoncé que ses premières décisions seraient de donner deux repas par jour aux enfants pendant la fermeture des écoles de l’été, et de freiner les expulsions ou de trouver des logements à ceux qui les subissent. Ada Colau prévoit de stopper les expulsions de logements, baisser les tarifs de l’énergie et mettre en place un revenu minimum de 600 euros.

A l’initiative du premier, une alliance entre Podemos et le PSOE a pour objectif de faire perdre au Partido Popular la présidence de la moitié des 14 régions espagnoles qui étaient en lice, sur les 17 que compte le pays. Des accords locaux entre les plates-formes citoyennes et Podemos devraient aboutir à la conquête d’une quinzaine de grandes villes, dont Valence, Saragosse et Séville.

Du Nord au Sud, les paysages espagnols portent les stigmates d’un miracle économique ayant tourné au désastre, constellé pour longtemps d’innombrables carcasses d’immeubles et de maisons inachevées. Et nos édiles, qui ne doutent de rien, se prévalent d’un nouveau miracle qui les arrangerait bien mais ne les effacera pas. Il est selon eux en tout point conforme au règlement : après avoir réduit le coût du travail et diminué ses prix, l’Espagne a gagné à l’export des points de croissance, notamment sur ses marchés de la zone euro où elle entre en compétition avec ses partenaires.

C’est tout le principe de la dévaluation interne, ou salariale, et de ses limites. Mais cette médaille n’est pas sans revers : la politique poursuivie fait obstacle à la réduction de la dette, les salariés voyant leurs revenus diminuer quand ils ont encore la chance de pouvoir travailler pour gagner leur vie, et elle n’apporte aucune contribution à la réduction du chômage, dont le taux officiel est toujours de 24% et dont la baisse provient d’abord de l’accroissement de l’émigration et l’essor du travail à temps partiel.

La croissance est certes de retour, prévue par le FMI de 3,1% cette année (2,9% par le gouvernement), mais le niveau du PIB restait fin 2014 en deçà de 4% de son niveau de 2008, et ses bénéfices sont très inégalement partagés. Selon l’Institut national de la statistique, le revenu moyen des ménages a chuté de 13% depuis 2008.

Cela a pour conséquence que les Espagnols doivent consacrer une part de plus en plus importante de leurs revenus au remboursement de leurs emprunts, leur interdisant de constituer une épargne, comme le constate la Banque d’Espagne. La dette espagnole privée et publique représente plus de trois fois le PIB espagnol, et il a fallu prodiguer une aide financière massive aux banques, procéder à la restructuration qui n’est pas terminée du système bancaire, ainsi qu’à la création d’une bad bank dont le financement des pertes reviendra largement à l’État, pour maintenir à flot le système une fois reconfiguré. Un tiers de la dette du pays est toutefois toujours détenue par des investisseurs étrangers, laissant l’Espagne vulnérable aux soubresauts d’un marché obligataire international où est enregistré un accroissement de la volatilité. La dette publique a encore augmenté au premier trimestre 2015, en légère décélération par rapport aux prévisions précédentes mais atteignant 98% du PIB, soit 1.046 milliards d’euros.

Résultant d’un essor limité des exportations, la reprise est loin d’être suffisante pour résorber le chômage et l’endettement. Mais le FMI, qui déplore un manque persistant de productivité de ses PME, appelle en conséquence…. à réformer le marché de l’emploi. Il n’y a qu’une seule recette dans son livre de cuisine. Plus de cinq millions d’Espagnols, dont de très nombreux jeunes, sont sur le carreau, et le remède consisterait à accroître la « flexibilité » de l’emploi en poursuivant la réduction du coût des licenciements et la « modération salariale ».

Néanmoins prudent, le FMI ne prédit pas le temps qui sera nécessaire pour digérer les conséquences de son miracle annoncé, afin que les Espagnols « retrouvent le chemin du travail » que sans doute désorientés ils ont perdu. En attendant, ils ont trouvé le chemin des urnes.