LES TURCS SE METTENT DE LA PARTIE, par François Leclerc

Billet invité.

N’y aurait-il qu’un pas à franchir de la Grèce pour rejoindre la Turquie et l’Espagne ? Le grand vainqueur des élections turques de ce week-end dernier a été le HDP (parti démocratique des peuples), que l’on compare déjà à Syriza et Podemos, rapprochant ainsi le pays d’une Union européenne dont il ne fait pas partie. Et son leader Selahattin Demirtas rejoint Alexis Tsipras et Pablo Iglesias, en raison notamment de son ouverture et sa simplicité.

Cette victoire peut sembler paradoxale, car le HDP n’a recueilli que 13% des voix, en forte progression électorale, mais elle provient du rassemblement opéré avec succès entre son électorat kurde d’origine et des minorités de toute nature, féministes, homosexuelles, écologistes, roms, yazidis et chrétiens… Occupant un vide, le HDP est devenu l’expression d’une gauche plurielle dans la continuation du mouvement du parc de Gezi de 2013 qui avait été l’occasion d’une opposition massive et prolongée à la politique de Recep Tayyip Erdogan, le président turc.

Le HDP peut se prévaloir d’avoir largement contribué à faire sombrer les ambitions de ce dernier, qui cherchait à obtenir une majorité renforcée lui permettant de faire voter une révision constitutionnelle instaurant à son intention un régime présidentiel fort. Ce faux-pas qu’il n’attendait pas donne une grande bouffée d’air aux nombreux Turcs qui en avaient tant besoin, voyant depuis des années de règne incontesté de leur président mégalomane leur société dériver sous la férule d’un conformisme islamique rétrograde et pesant.

Rompant avec les caciques usés d’une opposition turque figée dans le passé, le HDP ne cristallise pas seulement un rejet électoral significatif d’Erdogan – dont le parti conserve 40% des voix, mais en perd 2,7 millions – il va également à la rencontre des aspirations d’une société turque moderne qui ne veut pas de la chape de plomb islamiste et qui revendique la paix en référence au Kurdistan turc.

Minoritaire à l’assemblée, le parti présidentiel AKP est désormais contraint de rechercher un accord de coalition, à moins que ne soit préférée la solution d’un gouvernement minoritaire. Mais la voie royale que son président s’était tracée est barrée. Le mouvement de Genzi a trouvé sa continuation et pris sa revanche, en dépit des multiples provocations et attentats dont l’HDP a été la victime, et de la mobilisation des moyens de l’État et de la télévision en faveur de l’AKP.