Billet invité.
« Nous avons des règles ! nous avons des principes » s’est exclamée Christine Lagarde pour justifier avec un argument ne souffrant pas la contradiction l’absence d’accord avec le gouvernement grec. Brisant un tabou, elle a reconnu qu’une sortie de la Grèce de l’euro était « une possibilité », et que si ce ne serait pas « une promenade de santé », cela ne signifierait pas non plus la fin de l’euro. Depuis Dresde, où elle participait au G7 finances préparant le sommet des chefs d’État et de gouvernement des 7 et 8 juin prochains, la directrice générale du FMI semblait donner le ton. Comme si, faute d’obtenir la capitulation du gouvernement grec, il ne resterait plus qu’à entériner cette sortie, tout en prenant la précaution de lui en faire porter la responsabilité. Courageuse, mais pas téméraire ! Les résultats des élections municipales et régionales espagnoles n’ont-elles pas sonné la fin de la partie dans la tête des plus hautes autorités, rendant nécessaire de faire sans tarder davantage la part du feu avec la Grèce ?
Dans cette ambiance, on ne s’étonnera pas de la dernière provocation de Wolfgang Schäuble, qui voit arriver le dénouement qu’il a toujours recherché, partisan de couper les branches mortes de l’Europe pour à sa manière la renforcer. Faisant écho à la déclaration de la veille d’Alexis Tsipras, il a donc lancé : « je suis toujours surpris quand d’Athènes, on nous dit qu’on est tout près d’un accord ».
Des éléments de contexte ne sont pas superflus. Paris et Berlin se préparent à faire des propositions de renforcement de la gouvernance de la zone euro, sans modification des Traités actuels. Il serait question d’élargir la mission de la BCE, en réponse aux souhaits de Mario Draghi qui fait désormais état pour les banquiers centraux du « devoir de s’exprimer sur les politiques qui rendent difficiles, voire impossible, l’exercice de leur mandat ». Le rôle de la Commission serait également diminué et celui des chefs d’Etat et de gouvernement accru. Dans le contexte du referendum britannique sur l’Europe qui se confirme, et des discussions sur l’avenir de celle-ci qui s’engagent, les annonces de propositions se multipliant, on croit saisir que la question de la Grèce doit passer au second plan pour traiter enfin des choses sérieuses !
Toujours politiquement au fait, Pierre Moscovici a jeté une nouvelle poignée de terre en déclarant que « il y a encore beaucoup de travail à faire », cela allant sans dire que ce sera sans lui. Le dernier fil de la négociation est ténu, et c’est à celui qui ne déclarera pas qu’il est rompu. Au cas où Alexis Tsipras baisserait la garde, To Potami, le parti centriste qui dispose de 17 députés à l’Assemblée grecque, a déjà fait ses offres de service : « Quel que soit l’accord qui serait présenté au Parlement, tous les députés de To Potami vont voter en sa faveur, sans marchandage, parce que le pays a besoin d’oxygène », dans l’intention de suppléer au refus d’une partie des députés de Syriza.
Dans l’après-midi de jeudi, Alexis Tsipras s’entretenait par téléconférence pendant une heure avec Angela Merkel et François Hollande, montrant que le temps de l’épilogue n’est pas encore venu. Mais il n’est pas interdit de s’interroger dès maintenant sur la manière dont les historiens résumeront plus tard cet épisode de la crise européenne, si cela tourne mal : « le sauvetage des banques européennes – principalement allemande et française – a conduit les dirigeants européens à sacrifier la Grèce pour se défausser de toute responsabilité devant l’inéluctabilité de la restructuration d’une dette devenue publique après avoir été transférée du privé. »
Prétendant donner un avenir à l’Europe une fois dépêtrés de la crise grecque, les dirigeants européens veulent éviter toute modification des Traités qui imposerait des consultations électorales, comment ne pas les comprendre ? Mais ils commencent très mal pour cette raison même.