Billet invité.
Une certaine agitation a été recensée hier dans le but de minorer l’importance des propos tenus par le représentant du FMI lors du dernier Eurogroupe. Selon des hauts fonctionnaires, la menace de quitter le bord n’en serait pas une, l’intention se résumant à souligner que toute concession vis à vis d’Athènes impliquerait une restructuration de la dette. A Bruxelles, certains attribuaient même au FMI la fuite de cette information, l’assimilant à une tactique de négociation destinée à faire barrage à tout assouplissement sur le dossier des retraites. Car le Fonds, qui sera tiré d’affaire en 2016 au contraire de ses partenaires européens qui en ont pris sur le papier pour trente ans, préfère des coupes budgétaires à effet immédiat à des recettes fiscales futures et incertaines, afin de conforter son remboursement.
En réalité, les doutes sur la soutenabilité de la dette grecque ne datent pas d’hier, le FMI en ayant fait part dès 2012 et ayant simplement choisi ne plus en faire publiquement état dans la perspective de sa sortie du dispositif d’accompagnement financier, bien décidé à ne plus y revenir. Mais la révélation fait mal, venant déranger le scénario qui se mettait en place en cas de persistance du blocage actuel avec ses conséquences, afin d’en attribuer toute la responsabilité aux Grecs. Profitant de l’occasion, ceux-ci n’ont pas manqué de retourner sans tarder la politesse à leurs créanciers, soulignant que leurs « stratégies différentes » faisaient « entrave » à tout progrès dans les négociations. Et ils ont dévoilé le pot aux roses en expliquant que, si « le FMI est d’accord pour la réduction de l’excédent budgétaire primaire, avec comme arrière pensée l’effacement de la dette publique du pays pour qu’elle reste viable », il est intransigeant sur « les réformes du marché du travail et le système de retraite ». En revanche, la Commission est opposée à toute restructuration de la dette, mais plus sensible aux tentatives d’accroître les recettes fiscales et « plus souple » sur les lignes rouges de Syriza. Au réalisme des uns s’oppose la tentative de noyer le poisson des autres, mais au final tous ont tout faux.
Que faut-il attendre dans ces conditions des dirigeants européens ? En déclarant, après avoir rencontré Yanis Varoufakis, que l’Europe a « la capacité d’aboutir à un bon compromis » avec la Grèce, Michel Sapin a montré un grand savoir faire dans l’art de ne rien dire et surtout de ne rien faire, qui en donne la meilleure illustration. Sur le sujet particulièrement glissant de la dette, Pierre Moscovici s’est contenté d’affirmer que « ce sujet ne peut être débattu qu’une fois que nous nous serons mis d’accord sur un programme de réformes qui, je l’espère, sera cohérent, détaillé, complet et qui permettra à l’économie grecque de se redresser ». Pour résumer : demain sera un autre jour !
Cette négociation s’apparente à un sac de nœuds qu’ils ne parviennent pas à dénouer, et la Grèce semble toute désignée pour jouer le rôle de leur victime expiatoire. Les dirigeants européens, qui récoltent ce qu’ils ont semé – ayant récupéré la dette grecque pour protéger les banques – cherchent une issue introuvable afin de repousser une restructuration au plus tard possible. Mais ils ne parviennent pas à poser l’équation qui sauverait les meubles dans l’immédiat. Prisonniers du cadre imposé par les Allemands, qu’ils ont accepté, ils tentent de biaiser avec celui-ci mais ont plus important à négocier que le sort de la Grèce : leur propre sort. Si la Commission essaye timidement d’arrondir les angles et de faciliter un compromis sans heurter quiconque, sa politique ne débouche pas, et la BCE ne veut pas être celle par qui le malheur arrive, ayant des chats plus importants à fouetter.
Le sort pourrait facilement en être jeté, à moins qu’un sursaut de dernière heure n’intervienne, un réflexe de survie si l’on en croit tous les avertissements entendus à propos d’une sortie de la Grèce de l’euro. Ne faut-il pas à ce propos tout simplement remarquer que les occasions ne manqueront pas d’élargir une première lézarde dans l’édifice de la zone euro et de fissurer l’Union européenne ?
Quant à Syriza, rivés à son mandat et sans plan B, ses dirigeants se battent avec opiniâtreté le dos au mur et épuisent leurs cartouches. Après avoir entamé les négociations en parlant économie, dans le désert, ils ont dû se replier faute de mieux sur la recherche d’un compromis politique pour parler le même langage compréhensible, mais sa concrétisation est de plus en plus improbable, car coller aux exigences du FMI permet d’évacuer le débat sur la restructuration de la dette, et à Dieu vat ! Sont-ils à une irresponsabilité près ?