Grèce : LE FMI PLACE LES EUROPÉENS DEVANT LEUR IRRESPONSABILITÉ, par François Leclerc

Billet invité.

Yanis Varoufakis n’était pas pour grand chose dans le grand énervement constaté suite à la dernière réunion de l’Eurogroupe de Riga. Selon le chef du bureau du Financial Times à Bruxelles Peter Spiegel, qui le tient de deux hauts fonctionnaires non identifiés, le FMI aurait lors de cette réunion mis un coup de pied dans la fourmilière. Poul Thomsen, son directeur pour l’Europe, aurait menacé d’un retrait des négociations du FMI si une nouvelle restructuration de la dette grecque n’intervenait pas, constatant déjà que le pays se dirigerait cette année vers la réalisation d’un déficit budgétaire de -1,5%, et non pas un surplus de 3% comme prévu. Ce qui n’est pas sans rappeler l’épisode précédent de 2012, à l’occasion duquel le FMI avait finalement obtenu une telle restructuration. Mais la donne est cette fois-ci différente, la majeure partie de la dette grecque étant détenue par des institutions publiques, ce qui la rend impossible aux yeux d’autorités européennes qui en portent la responsabilité.

Depuis cet épisode qui ne pouvait rester longtemps dissimulé, Alexis Tsipras a multiplié les contacts téléphoniques en Europe, cherchant dans un premier temps à obtenir le payement partiel de la dernière tranche du plan de sauvetage, en contre-partie des avancées déjà réalisées dans les négociations. Devant le refus qui lui a été publiquement signifié par Jeroen Dijsselbloem, tout repose désormais sur un éventuel relèvement par le BCE du plafond d’émission des bons du Trésor de la Grèce, ce sera l’enjeu de la réunion de l’Eurogroupe du 11 mai prochain. A cet effet, une offensive tous azimuts va se dérouler ces prochains jours, avec des rencontres à Paris, Bruxelles et Francfort. Yannis Dragasakis, le vice-premier ministre, et Euclid Tsakalotos, qui dirige le « Groupe de Bruxelles », vont rencontrer Mario Draghi, et Yanis Varoufakis va en faire autant avec Michel Sapin et Pierre Moscovici. Voilà qui ressemble fort à une offensive de la dernière chance.

Si Vitor Constâncio de la BCE s’est lundi déclaré « absolument convaincu que le pire scénario pourrait être évité », ce qui ne convainc au mieux que lui-même, Jean-Claude Juncker s’est ouvertement inquiété des conséquences d’une sortie de la Grèce de la zone euro en évoquant l’enjeu qu’il décèle. Dans la foulée, le « monde anglo-saxon » ferait selon lui tout son possible pour casser celle-ci. Il en a tiré comme conclusion, elliptique à souhait, que si la Grèce devait faire des pas en avant décisifs, « nous devons être prêts à y répondre d’une manière adéquate de telle sorte qu’il ne pourront pas la repousser ». Munis de ce précieux viatique, comment les dirigeants européens pétris de leur arrogance pourraient-ils stopper l’irrésistible glissade sur la pente fatale sur laquelle ils se sont engagés ?

Scinder les négociations s’est révélé un choix désastreux, donnant rétrospectivement raison au gouvernement grec qui voulait les joindre. Mais cela permettait une fois de plus de se voiler la face. Sauf à se passer de sa participation, il va cependant falloir désormais répondre au FMI. Ce dernier, d’ailleurs, continue d’exiger que le gouvernement grec franchisse ses lignes rouges, n’offrant aucune perspective de compromis. Les dirigeants européens ont tous ensemble fait un grand pas vers le fond de l’impasse. Ils ne savent pas comment se débarrasser d’une dette qu’ils ont largement contribué à créer, et dont désormais ils détiennent l’essentiel. Ne parvenant même pas à créer les conditions qui permettraient de la rouler, à défaut de la rembourser, ils font en Grèce la pire des démonstrations. C’est dire de quoi ils sont capables.

Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, a jeté la première pelletée de terre en déclarant ce matin « on voit bien que cela ne peut continuer indéfiniment », faisant référence aux liquidités d’urgence dont les banques grecques bénéficient. La Commission une seconde, en constatant la dégradation de l’économie grecque, car « l’élan positif a été brisé par les incertitudes depuis l’annonce d’élections anticipées en décembre », et par « l’absence actuelle de clarté » du gouvernement vis-à-vis de ses créanciers. Première tentative explicite d’écarter toute responsabilité, qui va être suivie par d’autres, au cas où les jeux seraient faits. La marche que le FMI propose de gravir est trop haute, il vaut mieux passer la Grèce aux pertes et profits sur le thème « on a tout essayé, et ils ont eu ce qu’ils méritaient ».