Billet invité.
Reconnaitre son impuissance est pour une banque centrale un art difficile, car l’exercice écorne sa toute puissance présumée. C’est la situation dans laquelle se trouve la Banque du Japon, qu’elle essaye de masquer. Son programme de création monétaire de l’équivalent de 620 milliards d’euros n’est pas parvenu en deux ans a faire croitre l’inflation que de 0,2%, une fois soustraite l’augmentation de la TVA de 2%. En dépit d’un taux de chômage orienté à la baisse de 3,4% en mars, ainsi que des promesses d’augmentation des grandes entreprises en réponse aux injonctions gouvernementales – en attendant leur confirmation – la demande intérieure continue à reculer de mois en mois. Un mystère de même nature que celui qui aux États-Unis dépasse Jack Lew, le secrétaire au Trésor. Pour justifier la léthargie des prix, la Banque du Japon invoque la baisse de celui du pétrole et revoit à la baisse ses prévisions de relance de l’inflation. Mais, devant le risque d’une rechute, elle évoque la possibilité « d’ajustements », c’est à dire d’une extension de son programme de création monétaire.
La main de la Fed n’est pas plus assurée lorsqu’en direction opposée elle en vient au resserrement de sa politique monétaire. Avec une croissance de 0,2%, les performances de l’économie américaine sont inférieures aux attentes. La rigueur de l’hiver est mise à contribution pour l’expliquer, ainsi qu’une grève prolongée des dockers et à nouveau la baisse du prix du pétrole (mais cette fois en raison de la chute de l’extraction), mais la prudence est de rigueur pour la suite, et l’inflation est toujours très en dessous de sa cible d’objectif. Le début de normalisation de sa politique, que représenterait une hausse des taux, suscite également des craintes en raison des pertes que les investisseurs pourraient encourir suite à la baisse qui en résulterait de la valeur des obligations dont leurs portefeuilles sont abondamment garnis. Les fonds d’investissement et les ETF (Exchange Traded Funds), qui sont si prisés, seraient particulièrement vulnérables à des sorties massives de capitaux, désormais considérés à eux deux comme les points faibles du système financier. Car, afin de respecter leurs obligations de fonds propres, les banques ne sont plus en mesure de se porter acquéreuses des obligations que les fonds et les gestionnaires d’ETF devraient massivement vendre pour rembourser les investisseurs, ce qui pourrait entraîner un écroulement du marché assorti de pertes en conséquence. Il n’est pas besoin de se pencher beaucoup pour décrire des scénarios catastrophes pouvant survenir.
La BCE chante prématurément victoire en affirmant que « les attentes d’inflation en zone euro à long terme se sont reprises » (notez la nuance), en s’appuyant pour l’étayer sur la confiance « d’experts et d’acteurs de marché » qu’elle a constatée. Nous sommes dans le dur, mais attendons de voir venir ! Certes, après quatre mois de baisse des prix, la zone euro certes officiellement sortie de la déflation, selon une première estimation d’Eurostat qui l’établit en avril à tout juste 0,0%. Mais tous les signaux ne sont pas si encourageants : l’inflation sous-jacente reste stable à 0,6% et le secteur des services atteint un plus bas historique avec 0,9%. Et les analyses démontant les dessous fragiles des relances espagnole ou britannique ne manquent pas, comme c’est également le cas pour les Etats-Unis.
Ce monde n’est-il pas déroutant ? Au Japon, la sortie du tunnel de la déflation est attendue d’une augmentation des salaires, la Banque du Japon peinant à la tâche, tandis qu’à l’inverse l’Europe mise sur la BCE pour contrer la pression déflationniste, tout en continuant de préconiser une dévaluation salariale compétitive. Il ne manquera pas d’experts patentés pour en donner de fines explications. Afin de favoriser la relance, les mêmes banques centrales jouent la dévaluation de leur monnaie par rapport au dollar – la manipulent, disent les puristes – et la Fed, comme paralysée, ne cesse de retarder une hausse de ses taux qui aurait pour effet de faire remonter le dollar. Remarquons que pour une fois elle jouent dans le même sens !
S’exprimant à propos d’une reprise au sein de la zone euro, « clairement là » selon lui, Benoît Coeuré de la BCE a toutefois reconnu qu’elle était « insuffisante et inégale », voire qu’elle risquait d’être un « feu de paille ». Ainsi que la baisse du prix du pétrole, le programme de création monétaire de l’institution qui contribue à la baisse de l’euro sont « transitoires ». Ce qui incite le gouverneur a préconiser de « transformer l’essai » en favorisant la croissance de long terme « par des réformes des marchés du travail et plus généralement un climat des affaires plus favorable à l’investissement ». Chassez l’économiste, le politique revient au galop !
L’exemple de la BCE est heureusement là pour monter que les banques centrales n’ont pas perdu toute leur superbe et de leur activisme très politique (en toute indépendance). Ce n’est pas Jean-Claude Trichet, son ancien président, qui le démentira : il continue à nier contre toute évidence qu’il a imposé au gouvernement irlandais de sauver les banques du pays pour tirer d’affaire les banques allemandes et françaises. Ni Mario Draghi, qui avec un indéniable sens de l’à propos donne juste ce qu’il faut de mou à la laisse au bout de laquelle il tient le gouvernement grec. Au moins, les banques centrales servent encore à quelque chose, n’ayant pas seulement l’immense mérite d’avoir placé le système financier sous une assistance de longue durée qu’elles ne semblent pas prêtes de débrancher.
Gardez-nous nos banques centrales !