POUR QUI TRAVAILLE LE TEMPS A ATHÈNES ? par François Leclerc

Billet invité.

Dans un article proposé à la presse mondiale et repris sur son blog, Yanis Varoufakis a relevé qu’il était indispensable de renverser l’approche adoptée sous les auspices de la Troïka. Celle-ci déduisait les objectifs d’excédent primaire d’un calendrier de désendettement préalablement établi, sans plus se soucier de la viabilité des taux de croissance que cela imposait. Ce serait chose faite s’il se confirme qu’Alexis Tsipras, lors de sa rencontre d’hier avec Angela Merkel, a obtenu que les objectifs d’excédent primaire budgétaire de la Grèce soient pour compris l’année en cours et la prochaine dans une fourchette de 1,2 à 1,5%.

Le premier ministre grec cherchait un accord politique, il aurait obtenu un assouplissement des contraintes économiques, car si ces objectifs seront encore difficiles à atteindre, ils sont nettement plus réalistes que ceux de la Troïka. Plus important encore, ils tracent un nouveau cadre pour les discussions à venir sur la dette, que les négociations se déroulent en deux phases ou finalement se rejoignent.

Selon Reuters, Angela Merkel aurait déclaré après sa rencontre que tout devait être fait pour trouver un accord avant que la Grèce ne soit à court de disponibilités financières. Cela confirmerait que les dirigeants européens à qui elle donne le ton ne veulent absolument pas d’un défaut grec, ce que Jean-Claude Juncker avait auparavant indirectement exprimé en affirmant qu’il était certain à 100% qu’un accord allait intervenir. Mais, tout n’étant pas réglé, « il y a un sentiment d’urgence que nous voulons transmettre » a déclaré Pierre Moscovici, comme si le message n’était pas destiné aux deux parties !

Restent en effet en suspens les points durs que le gouvernement grec a toujours clairement déclaré ne pas vouloir accepter, qui ne représentent pas un petit obstacle. Valdis Dombrovskis, le vice-président de la Commission, a confirmé que le dernier Eurogroupe de Riga n’avait rien pu décider, et que les discussions qualifiées par lui de « techniques » devaient se poursuivre. Le prochain Eurogroupe aura lieu le 11 mai. Si les autorités européennes avancent aussi masquées, c’est qu’elles sont elles-mêmes coincées, ne pouvant ni reculer après avoir été catégoriques, ni précipiter un défaut grec qu’elles ne veulent pas risquer. Dans la grande tradition européenne, il faudra attendre le tout dernier moment pour qu’un compromis soit trouvé à l’arraché, bien que ce ne soit pas garanti.

Les Américains s’alarment devant l’éventualité d’un échec, habités par l’écroulement de Lehman Brothers consécutif à leur erreur de jugement qu’ils ne veulent pas voir répétée. Jack Lew, le secrétaire au Trésor, l’a clairement exprimé : « je n’ai cessé d’expliquer que personne ne devrait penser être en mesure de prédire tous les risques d’une telle situation ». Jean-Claude Juncker a de son côté déclaré qu’une sortie de la Grèce de l’euro « entrainerait des conséquences dont on n’ignore l’amplitude ». Certes, les risques ne sont plus ce qu’ils étaient en 2012, comme on fait valoir de tous côtés, mais ils se sont déplacés. Car sinon d’où viendrait cette extrême patience ? Moins financiers, ils sont devenus plus politiques, ce qui ne signifie pas qu’ils pourraient être mieux assumés s’ils se concrétisaient. Non pas en raison du danger d’une alliance Moscou-Athènes sur le flanc Est de l’OTAN, qui relève du fantasme, mais de l’échec que représenterait une sortie dans le désordre de la zone euro de l’un de ses membres, exprimant sa fragilité. Voilà qui alimenterait la chronique de la gestion européenne décidément désastreuse qui s’est instaurée et que le dernier sommet sur l’immigration vient encore d’illustrer.

Jusqu’à quand les prolongations vont-elles pouvoir être jouées avec la Grèce ? En formulant la proposition d’un achat par le Mécanisme européen de stabilité (MES) des titres détenus par la BCE qui viennent à échéance en juillet et août prochain, les dirigeants grecs montrent qu’ils se préparent autant qu’ils le peuvent à durer. Ces titres pourraient en effet faire l’objet d’un swap avec ceux que le MES émettrait, que la Grèce s’engagerait à rembourser selon le calendrier lointain déjà fixé avec le Fonds européen de stabilité financier (FESF) pour ses créances à son égard. A condition, bien entendu, que les autorités européennes l’acceptent. En attendant cette hypothèse fort incertaine, la BCE maintient le système bancaire grec le nez hors de l’eau sans que cela suscite d’éclat côté Bundesbank.

Les dirigeants grecs étaient donnés pour manger leur chapeau, mais ils ne seront pas les seuls à le faire, si le pire est évité. La démonstration exemplaire voulue par les dirigeants européens et longuement attendue ne sera en tout état de cause pas accomplie. Quant aux spéculations sur l’effritement de la popularité de Syriza qui pourrait changer la donne, elles doivent être relativisées : Nouvelle Démocratie ne progresse que très faiblement dans les sondages, le Pasok continue de s’enfoncer et le nouveau parti To Potami stagne. Le gouvernement actuel tombé, un vide encore pire s’instaurerait.

Le temps travaille tout autant pour Syriza.