VU PAR LE FMI, LE MONDE NE SE SENT PAS TRÈS BIEN, par François Leclerc

Billet invité.

En choisissant de publier des rapports réguliers sur la « stabilité financière dans le monde », le FMI souligne combien celle-ci fait question, ce dont le PDG de JP Morgan Chase a également fait part dans sa dernière lettre ouverte à ses actionnaires, mais dans le but de mettre en garde contre l’excès de réglementation des banques…

Ne mentionnant que de manière anodine « la valorisation de certains actifs » – l’inflation des actifs boursiers – en raison de son appui prononcé aux mesures d’assouplissement quantitatif des banques centrales qui en sont à l’origine, José Viñals, le directeur du département monétaire et des marchés de capitaux du FMI, rejoint la constatation de Jamie Dimon en observant que les marchés obligataires et des changes connaissent des phénomènes inédits et inquiétants de volatilité, qui pourraient se révéler très déstabilisateurs. Il est question d’une crise de liquidité, quand chacun se retire chez soi, avec pour conséquence de dangereusement gripper le système financier.

Leur circonspection partagée a pour origine la même méconnaissance du nouveau monde dans lequel nous sommes entrés, fait de très bas taux d’intérêt, de création monétaire intense et de réglementations aux effets inconnus. Comme le remarque le rapport du FMI, les risques de déstabilisation « se sont accentués », « l’héritage des turbulences passées » amplifiant ces nouvelles tensions. Pire, ces risques ont « migré des banques vers le secteur non bancaire (gestion d’actifs et shadow banking) [et] des économies avancées vers les émergentes », rendant plus difficile leur détection.

La question des taux mobilise prioritairement l’attention du FMI, le conduisant à s’inquiéter tout à la fois de la persistance des bas taux dans la zone euro et des risques résultant de leur relèvement aux États-Unis. Le monde des banques centrales continue de ne pas marcher d’un même pas et cela pose problème, pourrait-on ajouter. Dans les deux cas, elles créent de nouveaux facteurs d’instabilité en cherchant à stabiliser le système financier.

C’est le cas pour le secteur des assurances, qui pèse 4.400 milliards d’euros d’actifs au sein de l’Union européenne, mais dont un quart pourrait ne pas respecter « ses exigences de solvabilité dans un scénario de persistance des faibles taux d’intérêt », créant un risque de contagion en raison de son interconnexion accrue avec le système financier. Voilà qui relativise les bienfaits conjoncturels en Europe des bas taux actuels, la baisse de l’euro par rapport au dollar et la diminution du poids de l’endettement.

Additionné au risque de brutale correction sur les marchés boursiers qui s’accroît, cela fait beaucoup pour un seul système financier convalescent, en faveur duquel les banques centrales ont actionné tous leurs instruments monétaires et n’en ont pas d’autres à leur disposition. Comment pourraient-elles être à nouveau les sauveurs qu’elles ont été dans ces conditions, les marchés financiers peinant à placer les liquidités qu’elles ont déversées ?

À l’heure où les autorités européennes de la zone euro cherchent à relancer l’investissement pour sortir du piège dans lequel elles se sont elles-mêmes placées – et à faire directement appel aux marchés des capitaux en court-circuitant les banques – le FMI rappelle opportunément leur situation réelle. Si les banques ne remplissent plus leur mission, c’est parce qu’elles sont chargées de « plus de 900 milliards d’euros de créances douteuses dans la zone euro », et que ce montant s’accentue au lieu de diminuer. Et il suggère de soulager les bilans bancaires en encourageant les banques à « utiliser des capacités internes et externes spécialisées pour faire face au stock des actifs improductifs, gérer de manière active leur provisionnement et procéder à leur radiation ». On retiendra de ces formules élégantes qu’elles excluent toute recapitalisation, qui pénaliserait leur rendement financier déjà très atteint, et qu’elles reviennent une fois de plus à planquer les pertes sous le tapis…

Revenant sur le chapitre des fonds d’investissement à la suite de l’avertissement lancé par Christine Lagarde, le FMI souligne que même les produits de placement « classiques » (par opposition aux produits structurés) peuvent dans ce secteur en pleine expansion et concentration présenter des risques pour la stabilité financière. On touche à cet égard le fond du panier ! Enfin, il s’inquiète également de la situation des pays émergents : subissant à des titres multiples, qu’il décrit, les effets de la crise des pays développés, ils ne peuvent plus être présentés comme des relais de croissance allant contribuer à sa relance généralisée.

Le monde que parcourt à grandes enjambées le FMI va mal, et c’est lui qui le dit !