FUKUSHIMA : LES TROIS CORIUMS NE SONT PAS LÀ OÙ ILS DEVRAIENT ÊTRE… par François Leclerc

Billet invité.

Le résultat du premier test de localisation dans le réacteur n°1 de l’un des trois coriums de la centrale de Fukushima a mis en évidence qu’il avait tout simplement disparu, présumé au fond du réacteur sans savoir s’il a ou non traversé la semelle de béton qui l’isole du sous-sol. Il aura fallu quatre ans pour arriver à cette conclusion, combien faudra-t-il de temps pour dire où il se trouve ?

Menée sous la conduite de chercheurs de l’Université de Tsukuba, l’expérience a fait appel à l’émission de particules à haute énergie appelées muons, qui ne sont arrêtées dans leur course que par des substances à haute densité, comme le corium, ce qui permet de produire une image de celui-ci s’il fait obstacle. Le corium est un amalgame à très haute température et très haut degré de radioactivité du combustible nucléaire fondu avec ce qui l’entourait et qu’il rencontre ensuite sur sa trajectoire, après rupture de la cuve en acier du réacteur. Il doit alors être refroidi en permanence par des injections d’eau massives dans le réacteur.

L’expérience n’a fait que confirmer ce que des simulations et des calculs avaient déjà laissé supposer, mais elle pose désormais dans toute son étendue la problématique de la récupération des trois coriums, la situation devant être identique au sein des réacteurs n°2 et 3. Pour faire bonne contenance, un calendrier a été annoncé, selon lequel les travaux d’enlèvement pourraient débuter en 2020 et durer entre vingt et trente ans. Mais, dans l’état des connaissances et des technologies disponibles, ces prévisions ne reposent que sur le besoin d’accréditer l’objectif de démantèlement de la centrale et de justifier par cette fin heureuse le redémarrage des autres.

Les 48 réacteurs japonais – une fois soustraits les six des deux centrales jumelles de Fukushima – sont en effet toujours à l’arrêt. Outre ces dernières, la liste des réacteurs destinés au démantèlement s’allonge, cinq d’entre eux y sont déjà inscrits. Il a été en effet laissé à leurs opérateurs le choix entre démantèlement et réalisation d’importants travaux s’ils veulent bénéficier d’une extension de vingt ans de leur durée d’activité. Chaque opérateur évalue donc les avantages et inconvénients comparés de la mise en conformité de ses installations afin de faire son choix, avec comme conséquence probable de condamner les plus petites unités.

Cela va incidemment permettre de valider le coût du démantèlement, qui a été sous-estimé pour les besoins de la cause, ainsi que celui du prix de revient final du kW nucléaire. Mais ces travaux interviendront dans des centrales à l’arrêt, où le combustible nucléaire n’a pas fondu, ce qui fait toute la différence avec les trois réacteurs sinistrés de Fukushima. Or, le véritable coût du nucléaire doit être calculé globalement, avant d’être rapporté à la production d’un kW, incluant celui des catastrophes qu’il suscite, tout compris, ainsi que celui du coût de stockage des déchets, pour ne pas rappeler tous les coûts de recherche initialement pris en charge par l’État. Le coût de l’électronucléaire a toujours été politique, comme tout ce qui touche à cette industrie, afin d’en justifier le financement.

Celle-ci s’achemine vers la vieillesse. Afin de reculer le moment de vérité, il est tenté de prolonger la durée de vie des centrales en fonctionnement, mais le moment où le trait de l’addition va devoir être tiré ne pourra plus longtemps être repoussé. En attendant, on reconnait bien là l’une des constantes de l’action politique quand elle est au bout du rouleau. Les débats sur la transition énergétique qui s’engagent en France, la patrie du tout-nucléaire, n’incitent pas à l’optimisme. Pour commencer, il va falloir financer les 4,9 milliards d’euros de perte d’Areva à fin 2014, ce symbole d’une gestion irresponsable et du laissez-faire d’un État composante déterminante du lobby nucléaire (au Japon, on appelle celui-ci « le village nucléaire » pour illustrer l’étroit voisinage de ses membres). Il sera tenté de se prémunir de cette charge complémentaire grâce à un montage financier alambiqué faisant supporter les pertes par EDF, avec d’inévitables répercussions sur le prix de l’électricité.