Billet invité.
Entre une échéance du prêt du FMI et le remboursement de bons du Trésor émis, le gouvernement grec doit trouver six milliards d’euros pour passer le cap du mois de mars, en attendant le dernier versement fin avril de 7 milliards d’euros du deuxième plan de sauvetage, qui les financera si tout se passe bien. Prenant au mot Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe, qui a évoqué un déblocage partiel de celui-ci avant l’échéance, Yanis Varoufakis affecte la sérénité à propos de la trésorerie du gouvernement et annonce qu’il va présenter le 9 mars à l’Eurogroupe un plan de six mesures à mettre en œuvre immédiatement. Parmi celles-ci figurent un programme d’aide humanitaire, la création d’un nouveau corps de contrôleurs fiscaux, une réforme de l’administration fiscale et un projet de loi pour régler les dettes des contribuables vis-à-vis de l’État et de la sécurité sociale dont les détails ne sont pas connus.
Une question se pose encore à ce stade : les autorités européennes savent-elles vraiment à quoi elles jouent ? Deux hypothèses se présentent, et cela réclame de leur part une clarification sans tarder. Elles peuvent soit s’être alarmées de la situation dans laquelle elles ont elles-mêmes plongé le gouvernement grec, et vouloir l’assouplir, ou bien le condamner à l’asphyxie financière. Dans cette dernière hypothèse, qui joue avec le feu, ces autorités pourraient espérer trouver un interlocuteur plus complaisant avec qui négocier d’ici juin prochain un 3ème plan de sauvetage. Car sous une forme ou une autre, celui-ci va être indispensable pour maintenir la Grèce dans la zone euro, l’objectif proclamé.
On peut dans ces conditions se demander pourquoi une sortie de l’euro de la Grèce – ce fauteur de trouble – ne serait-elle pas en fin de compte décidée ? Quelles en seraient donc les conséquences, dont l’on semble chercher à se prémunir avec aussi peu de maîtrise ? Le défaut de la Grèce qui s’en suivrait aurait pour conséquence d’accroître le déficit de ses créanciers publics, les États européens et la BCE, ne laissant comme choix aux premiers, une fois leur pertes constatées, que d’augmenter les impôts ou de réduire leurs dépenses pour l’absorber. À défaut, il en résulterait un accroissement de leur propre endettement, faisant dans la pratique voler en éclats le Traité de 2012 sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, plus communément appelé pacte budgétaire européen. Telle est la situation qu’il est tenté d’éviter en repoussant à plus tard l’heure de vérité. Et c’est aux Grecs d’en payer le prix.
Comment rendre soutenable une dette qui ne l’est pas ? Les calculs montrent qu’un rééchelonnement de la dette et une diminution de ses intérêts impliquent de dégager des excédents budgétaires réclamant des recettes fiscales irréalistes. Soit parce que la conjoncture économique générale ne s’y prête clairement pas, soit parce que cela suppose une accentuation des mesures d’austérité aggravant encore la crise sociale. D’entrée de jeu, le ministre des finances grec Yanis Varoufakis a proposé une solution qui s’efforçait de contourner les obstacles, mais celle-ci n’a suscité aucune réaction dans un petit monde pétri de conformisme et de respect des dogmes. Les autorités européennes s’en tiennent à ces derniers, sans parvenir à les faire concorder avec la réalité.
Préparant son avenir, Luis de Guindos, le ministre espagnol des finances qui aspire à succéder à la tête de l’Eurogroupe à Jeroen Dijsselbloem en fin de mandat, a mangé le morceau en évoquant le montant possible d’un troisième plan de sauvetage de la Grèce : entre 30 et 50 milliards d’euros. Près de 11 milliards d’euros devront être remboursés à la BCE en juillet et août prochains, montrant que la nouvelle aide n’a à nouveau pour objectif que de permettre à la Grèce de rouler sa dette, coupée du marché à moyen et long terme. Elle ne pourra pas disposer de ces fonds pour pratiquer une politique de relance qui seule lui permettrait de dégager un excédent primaire compatible avec le remboursement de sa dette. Nous sommes là au cœur de la contradiction. Et la même sempiternelle question va se trouver à nouveau posée : quelles seront les contreparties exigées au prétexte de garantir le remboursement de la nouvelle aide ?
Dans l’immédiat, la stratégie de tension ne peut que se poursuivre. De son côté, le gouvernement grec va vivre d’expédients et concrétiser par de nouvelles lois ses intentions afin de ne pas trahir ses promesses électorales et de s’inscrire dans le cadre de ses engagements européens, tout en étant démuni de moyens financiers.
Voilà en attendant l’enjeu de la situation en Grèce vu par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne et ancien premier ministre du principal paradis fiscal européen : « Tsipras a fait un pas fondamental : il a commencé à assumer ses responsabilités. Mais il a un problème : il doit encore expliquer que certaines des promesses avec lesquelles il a emporté les élections ne seront pas tenues ». Il ajoute ce commentaire se voulant définitif, « les élections ne changent pas les traités ».