LA NUIT, TOUS LES CHATS NE SONT PAS GRIS ! par François Leclerc

Billet invité.

Il y a quelque chose qui cloche dans la manière dont se tiennent les négociations avec le nouveau gouvernement grec. Sauf à soupçonner des intentions cachées de rupture, en contradiction avec ce qui est sans cesse affirmé et sans tenir compte des risques qui s’en suivraient, toutes les parties prenantes recherchent un accord mais n’y parviennent pas. A quoi cela tient-il ?

Les dirigeants européens sont prêts à consentir quelques aménagements aux contreparties qu’ils exigeaient, à condition de ne pas avoir à sortir du cadre qu’ils ont tracé. Pour sa part, le gouvernement grec refuse de négocier à l’arraché et veut le faire sur de nouvelles bases. Le réalisme est de ce point de vue de son côté, mais pas question de le reconnaître ! Pourquoi sinon s’en tenir à une question aussi formelle que le maintien du symbole que représente la Troïka ? Ce n’est donc pas une question de préséance, ou de forme de la table de négociation, mais un choix politique inébranlable sur lequel il est hors de question de revenir pour qu’il continue à prévaloir.

Revenons en arrière. Le coupable était presque parfait et le mobile n’avait pas mis longtemps à être trouvé : la Grèce avait vécu au-dessus de ses moyens et devait en conséquence être condamnée à le payer. Une fois ce biais moral installé devant le tribunal de l’opinion publique, comment y déroger bien que cette histoire soit une fable ? Si la Grèce s’est retrouvée si endettée, c’est qu’elle y a été aidée, voire poussée, par les banques allemandes et françaises qui y ont trouvé leur intérêt. Finançant les grands groupes européens, dont les grecs, elles se sont retrouvées très exposées quand l’hiver fut venu : sauver la Grèce a en réalité consisté à les tirer d’affaire, comme cela a été le cas en Irlande et en Espagne. Pour ce faire, un gigantesque transfert de la dette grecque a été opéré, qui de privée est devenue publique.

Coupables de financement abusif, les banques n’ont pas été inquiétées. Les mesures d’austérité exigées pour que la Grèce parvienne à dégager les moyens de rembourser sa dette ont épargné les fraudeurs fiscaux, les corrupteurs et les corrompus, laissant intact un système politique accordant à quelques grandes familles un pouvoir reposant sur trois piliers : l’armée, l’église orthodoxe et les armateurs.

Les classes moyennes grecques et les plus démunis payent depuis au prix fort l’addition qui n’a pas été présentée à qui de droit, mais il n’est pas question de le reconnaître. Pas question non plus de faire subir à la dette grecque une nouvelle décote, car cela atteindrait cette fois-ci ses créanciers publics. Cela reviendrait à faire payer les contribuables, est-il désormais expliqué par des gouvernements se donnant faussement le beau rôle tout en étant à l’origine de cette situation. Pour sortir de ce piège en le contournant, le gouvernement grec a élaboré un habile plan de restructuration de la dette, en espérant qu’il serve de base à la négociation, mais cela en prend très difficilement le chemin.

Reste le danger d’une sortie de l’euro, qu’il faut conjurer. Car quoi qu’il en est dit, celle-ci représenterait un risque financier et politique non mesurable. Elle donnerait un signal de désagrégation de la zone euro, aussi bien aux marchés financiers qu’à ceux qui préconisent d’en sortir. Elle aurait également un coût élevé pour les créanciers de la Grèce, celle-ci n’étant plus contrainte au remboursement de sa dette et pouvant privilégier ses créanciers privés ainsi que le FMI afin de revenir dès que possible sur le marché.

Il était sage de proposer quelques semaines de réflexion et de s’en donner les moyens, il n’est pas du tout certain que vouloir à tout prix brusquer les évènements le soit. Le gouvernement grec est le dos au mur, cela lui donne paradoxalement une assise dont ses interlocuteurs ne disposent pas. Ce n’est pas le sort de la Grèce qui est en jeu, mais la poursuite de la politique d’austérité et de réformes libérales dans toute l’Europe. En faisant un bout de chemin avec l’OCDE, le gouvernement grec montre que le choix n’est pas entre le statu quo et les réformes, mais qu’il porte sur le contenu de celles-ci. L’actualité bruisse d’occasions de les cerner, qui ne seront pas nécessairement du goût de ceux qui en ont fait un étendard.