Billet invité
Une mesure « légitime », c’est ainsi que Matteo Renzi et François Hollande ont sans l’ombre d’une hésitation approuvé le coup de semonce de la BCE laissant aux banques grecques comme seule source de financement les aides de liquidités d’urgence (ELA). Et c’est cette annonce qui a sonné la fin de l’espoir de voir adopter le plan du gouvernement grec. On apprenait peu après que la BCE avait décidé d’augmenter le plafond de l’ELA, désormais porté à 60 milliards d’euros, afin que la situation ne leur échappe pas des mains : la BCE veut faire plier mais pas déclencher un effondrement bancaire et ses suites inévitables.
De Bruxelles, Francfort et Berlin, une pression maximum a été exercée sur le gouvernement grec. Les semaines de répit qu’il demandait pour négocier un plan global ont désormais un prix : Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, exige du gouvernement grec – comme s’il était seul à décider – qu’il sollicite une « extension technique » du plan de sauvetage en cours, avec pour effet de se retrouver face à une Troïka qu’il a rejetée. Rien n’est donc épargné aux nouveaux dirigeants grecs dans ce scénario destiné à leur administrer une leçon. La manifestation spontanée d’hier soir à Athènes a refusé le chantage, mais il reste aux manifestants la dignité dont ils se sont réclamés.
Lorsque ce cap sera franchi, si c’est le cas, la négociation s’engagera sur de toutes autres bases que celles qui avaient été proposées par Yanis Varoufakis en début de semaine. Avec pour objet de mettre en place sous condition une nouvelle aide financière destinée à rouler la dette grecque, afin de la rembourser à un terme lointain, si ce n’est jamais, comme plus probable. Elle portera aussi sur ses modalités de remboursement et de taux. Qu’importe si ce schéma n’est pas réaliste et implique la poursuite de la crise sociale, les dirigeants européens n’auront pas à se déjuger, quitte à desserrer plus ou moins le nœud coulant à la faveur de négociations replacées dans leur cadre de prédilection. Mais il est significatif que la lutte contre la corruption et la fraude fiscale ne figurent pas dans la liste des mesures d’austérité qui seront impérativement à suivre et que Wolfgang Schäuble a déjà rappelées.
Le gouvernement grec avait pesé les modalités d’un plan global destiné à trouver des appuis, mais il n’a même pas été question d’en discuter. Il lui a été opposé le refus intransigeant de toute dérogation à des principes considérés comme intangibles. À se demander si le plus important est le sort réservé à la dette – qui reste insoutenable – ou l’application de mesures remettant en cause les acquis sociaux. La porte donnant sur une autre issue est bien fermée, et c’est cela l’essentiel. L’équipe de Syriza a tenté de la forcer mais comment y parvenir seule ? Mais de quel avenir un social-libéralisme reposant sur ces bases peut-il se prévaloir ?
S’adressant hier au groupe parlementaire de Syriza, Alexis Tsipras a déclaré : « les Grecs ont tourné la page et on ne va pas retourner en arrière », ajoutant « la terreur et le chantage sont finis », mais comment va-t-il pouvoir le traduire ? La menace d’une sortie de l’euro de la Grèce reste son dernier argument, mais comment la laisser entendre sans risquer de la mettre à exécution ? Les enchères vont monter et le bras de fer risque de devenir scabreux. Dimanche soir, le premier ministre présentera au Parlement son programme de gouvernement. Une réunion extraordinaire de l’Eurogroupe est prévue mercredi prochain.
Yanis Varoufakis rencontrait aujourd’hui le vice-secrétaire adjoint du Trésor américain, dont la venue n’était pas prévue si tôt. Antonio Costa, le leader socialiste portugais et probable futur premier ministre, a de son côté tiré immédiatement les enseignements des évènements grecs et fait acte d’allégeance en expliquant qu’il avait « toujours récusé l’idée que la renégociation de la dette était l’unique et nécessaire solution ».
Comme a dit Yanis Varoufakis, les Grecs sont comme « des canaris dans une mine de charbon »…