Billet invité
« Il n’est pas question de supprimer la dette grecque. Les autres pays de la zone euro ne l’accepteront pas », a affirmé Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, ce matin dans le Figaro, tout en ajoutant « des arrangements sont possibles, mais ils n’altèreront pas fondamentalement ce qui est en place ». La réponse immédiate des dirigeants européens a pris la double forme du déclenchement d’un tir de barrage contre la réduction de la dette grecque, et de déclarations destinées à piéger l’opinion publique européenne, comme celle de Sigmar Gabriel – le ministre allemand de l’économie et leader du SPD -sur le thème que le changement ne peut pas se faire au détriment des Européens (désormais les créanciers de la Grèce).
Au sein des cercles dirigeants européens, un peu désarçonnés par la rapidité avec laquelle le nouveau gouvernement a été mis en place et pris de premières décisions, l’attitude à adopter n’est toutefois pas encore clairement déterminée. Les deux premiers éclaireurs – Martin Schulz et Jeroen Dijsselbloem – vont arriver à Athènes et Yanis Varoufakis, le nouveau ministre des finances, est attendu lundi à Paris afin d’engager une mission de bons offices française. À quel prix acceptable l’équipe de Syriza peut-elle devenir raisonnable reste la question posée, en dépit des mesures prises ou annoncées, qui brisent le cadre des exigences de la Troïka ? Une des questions clé est précisément de savoir si la mission de cette dernière doit être éclipsée afin de trouver un compromis.
L’attention s’est portée sur la crise des banques, qui ont perdu hier en une seule séance de la Bourse un quart de leur valeur. Leur cote a depuis repris une partie de ses couleurs, sans doute sous l’effet d’une déclaration apaisante à Bloomberg de Danièle Nouy, la présidente du Conseil de supervision (des banques) au sein de la BCE : « les banques grecques font actuellement face à une situation difficile en raison des récentes élections, mais elles sont assez fortes (…) Elles vont traverser cette crise comme les précédentes ». La situation est sérieuse, les retraits de capitaux des banques ayant été de 11 milliards d’euros en janvier, exprimant la crainte des milieux d’affaires devant la victoire de Syriza. Un responsable de la Bundesbank avait ensuite mis de l’huile sur le feu en mettant en garde contre « les conséquences fatales pour le système financer grec » de la remise en cause de la politique suivie jusque-là. En contrôlant le robinet des aides en liquidités d’urgence des banques (ELA), la BCE a la situation entre ses mains, ayant fixé à fin février – dans un mois – la décision de le fermer ou pas, ce qui précipiterait alors les événements. Il n’est pas certain qu’elle soit très à l’aise à la perspective de devoir exercer cette responsabilité.
Destinée à être annoncée le 5 février prochain à l’occasion du vote de confiance du Parlement au nouveau gouvernement, une première salve de mesures va illustrer son propos. Ayant pour objectif de sortir de la « crise humanitaire », elles s’inscrivent en faux avec les exigences de la Troïka : il est question d’augmenter le salaire minimum, de stopper le programme de privatisation (dont les revenus étaient destinés à rembourser la dette), de restaurer le 13ème mois de la retraite des petits retraités, et de réintégrer certaines catégories de fonctionnaires, dont les enseignants.
Du côté des gardiens du temple, il est utilisé la formule « pas de réformes, pas d’argent ! », mais c’est méconnaitre la politique de Syriza. Celle-ci vise en premier lieu à ne plus avoir à courir après la réalisation d’un excédent budgétaire primaire avec comme seul résultat de rembourser la dette. Et de substituer aux réformes de la Troïka, porteuses d’une crise sociale sans fin et sans espoir, d’autres réformes s’attaquant aux plaies de la société et de l’économie grecque afin de créer une nouvelle dynamique. Il n’est pas demandé de financement supplémentaire, une fois les versements déjà décidés et suspendus du second plan de sauvetage débloqués, mais la liberté de choisir ses moyens pour relancer l’économie. En s’attaquant notamment à la fraude fiscale de grande envergure, et en s’appuyant sur l’énergie de ceux qui auront le sentiment de travailler pour eux-mêmes.
Afin de faire face aux échéances de remboursement de l’été, la BCE pourrait procéder comme elle l’a fait avec l’Irlande et faire rouler la dette grecque sans avoir à enregistrer de perte. Ensuite, une formule de remboursement de celle-ci pourrait l’assujettir aux résultats obtenus en matière de relance et de croissance du PIB, intéressant à ses résultats à la fois les créanciers et les débiteurs, en attendant que le panorama européen se dégage. Contrairement à ce qu’a trop rapidement déploré Martin Schulz, Syrirza ne dit pas non à tout mais est porteur d’une alternative, une des questions étant de savoir comment elle va résonner.
Faut-il critiquer la voie provocatrice choisie par Syriza ou s’inscrire dans sa logique ? Rechercher avant toute chose une alliance avec les gouvernements français et italien n’était-il pas irréaliste, au vu de leur incapacité à formuler une politique alternative ? Pourquoi ne pas laisser chacun jouer sa partie à sa façon tout en se renforçant mutuellement ? Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, s’est invité dans le débat en exprimant sa crainte d’une « décennie perdue » de la zone euro. « Ce n’est plus l’heure des demi-mesures » a-t-il déclaré, évoquant la nécessité d’apporter « une prospérité durable pour ses citoyens », puis en mettant les points sur les « i » : « il n’est pas difficile de conclure que si la zone euro était un pays, la politique budgétaire serait nettement plus favorable »…
Sauf à précipiter la Grèce dans le défaut, la partie n’est qu’engagée. Le débat est politique, ses conséquences européennes le seront aussi, même si elles ne sont pas immédiates. Premier test électoral : les élections régionales anticipées en Andalousie du 22 mars prochain, où l’enjeu va être de mesurer la résistance du PSOE à la poussée de Podemos.