À ATHÈNES, TOUT SE PRÉCIPITE, par François Leclerc

Billet invité.

Constitué en un temps record, le gouvernement Tsipras a prêté serment en se passant de la traditionnelle bénédiction de l’Église orthodoxe. Sans attendre, de premières cartes sont prêtes à être posées sur la table, mais les évènements se précipitent.

De nombreuses mesures législatives sont dans les tuyaux et, premier symbole en annonçant d’autres, le gouvernement a stoppé la vente de 67 % des parts du port du Pirée pour laquelle des acheteurs avaient été déjà sélectionnés. L’augmentation du salaire minimum suivrait. La priorité est accordée à la mise en œuvre sans tarder de premières mesures phares, avec comme projet de sortir le pays de la crise humanitaire en attendant de détruire les oligarques, qui « ont sucé l’énergie et le pouvoir économique du pays » selon l’expression du nouveau ministre des finances, Yanis Varoufakis. Mais le temps et les moyens vont-ils en être laissés ? Le taux de la dette grecques à trois ans a grimpé à 17 %, les marchés signifiant qu’ils ne veulent pas être de la partie qui va se jouer sans eux.

Ces mesures sortent délibérément du cadre des exigences de la Troïka qui restent pendantes, tout comme le versement des 7 derniers milliards d’euros du plan de sauvetage qui s’achève, la BCE ayant donné comme échéance la fin du mois de février afin de parvenir à un accord. Faute de ce dernier, elle a prévenu qu’elle stopperait l’aide en liquidités d’urgence que la Banque centrale grecque dispense aux banques du pays, alors que celles-ci font face à d’importants retraits de dépôts depuis un mois. Un effondrement du système bancaire précipiterait les évènements et n’aurait d’autre issue qu’une sortie en catastrophe de la Grèce de l’euro.

Il y a urgence à trouver et mettre en musique un accord pour passer ce cap, ce qui explique la rapidité avec laquelle Jeroen Dijsselbloem, le chef de file de l’Eurogroupe, va se rendre vendredi à Athènes. Il aura été précédé jeudi par Martin Schulz, le président du Parlement européen, avant que celui-ci ne rencontre Angela Merkel et François Hollande. Mais un raidissement supplémentaire a été depuis enregistré côté allemand, venant du ministre des finances Wolfgang Schäuble : il ne rejette plus seulement un effacement de dette, mais également tout réaménagement de son calendrier de remboursement et de son taux. Il est appuyé en Espagne par Mariano Rajoy, qui ne voit son salut que dans l’application d’une ligne dure envers la Grèce. À l’opposé, le commissaire Pierre Moscovici a insisté sur le fait que « la Commission aide et veut continuer à aider la Grèce. Il n’est pas question que, de ce point de vue, il y ait une rupture. » Puis, il a précisé : « Ce que nous voulons les uns et les autres, c’est une Grèce qui se redresse, qui crée de la croissance et des emplois, qui réduise les inégalités, qui puisse faire face au problème de sa dette et qui reste dans la zone euro ». Reste à traduire ces bonnes intentions dans les faits.

Au plan diplomatique, le premier geste du nouveau gouvernement grec aura été de se démarquer de l’annonce par l’Union européenne de nouvelles sanctions contre la Russie, exprimant en cela les liens traditionnels qui unissent la Grèce et la Russie et une politique favorable à cette dernière. Avec la nomination à la tête du ministère de la Défense du leader des Grecs indépendants (ANEL), on est entré dans la réalité pas toujours encourageante de la vie politique grecque. Le paradoxe voulant que l’alliance avec l’ANEL corresponde à un choix de fermeté vis-à-vis des dirigeants européens, alors que To Potami représentait leur cheval de Troie et que Syriza a considéré essentiel ce critère. Tranche par contre la nomination à la tête du ministère de la Justice et de la lutte contre la corruption de deux personnalités reconnues, la première pour ses convictions, et la seconde pour son action passée.

C’est une grande première : un gouvernement élu s’oppose à la politique européenne, plaçant les dirigeants européens devant la nécessité de se repositionner politiquement et d’aller au compromis… à moins que la situation ne leur échappe des mains. Si un infléchissement de cette politique devait en résulter, cela ne se fera pas sans durs affrontements, comme Alexis Tsipras a annoncé y être préparé et comme il l’a montré en ouvrant le bal à sa façon. À l’occasion du premier conseil des ministres du nouveau gouvernement, présenté comme « de salut national », il a déclaré que « parmi nos priorités figure une renégociation avec nos partenaires pour trouver une solution juste, viable et mutuellement utile », affirmant que le gouvernement ne souhaite pas « une rupture réciproquement désastreuse », mais qu’il excluait de poursuivre « la politique de soumission ». La balle est dans le camp des dirigeants européens, à qui Yanis Varoufakis a proposé « un New Deal européen ».