CES RUSSES SONT DE VILAINS COPIEURS ! par François Leclerc

Billet invité.

C’est toujours le même scénario et les Russes ne renouvellent pas le genre : des signes annonciateurs prononcés de crise sont identifiés mais ignorés des décideurs, des éléments déclencheurs d’une crise aiguë surviennent ensuite brutalement, puis ces mêmes décideurs se pressent d’annoncer sa fin et de continuer à nier une réalité qui dérange, faute de savoir quoi faire. Gouverner, c’est prévoir, dit-on…

Acte I. En octobre dernier, un forum annuel consacré à l’investissement réunissant les hauts responsables russes de l’économie avait lieu à Moscou, et le ministre de l’économie Alexeï Oulioukaïev, tout nouvellement nommé, avait trouvé l’occasion de mettre en garde devant la « situation explosive » résultant de la coexistence d’une inflation à 8% et d’une croissance prévisionnelle pour l’année inférieure à 1% du PIB.

Un ancien ministre des finances et dirigeant de banque (sic), German Gref, avait été plus loin et rapproché l’état de l’économie russe d’aujourd’hui de la soviétique d’hier, soulignant « d’importants problèmes structurels » et la dépendance dangereuse à des prix du pétrole très élevés. En toile de fond, la fuite des capitaux – qui ne datait pas d’hier – prenait des proportions sans cesse croissante et le rouble perdait régulièrement de sa valeur. Mais aucun correctif n’intervint, et pour tout résultat Vladimir Poutine continua à privilégier la croissance des crédits militaires au détriment des autres budgets, sans plus de soucier de l’état inquiétant de l’économie.

Acte II. La crise éclatée brutalement, le président russe a mis deux longues journées pour s’exprimer et la minimiser en promettant que tout rentrerait dans l’ordre dans les deux ans. Le gouvernement a même ensuite proclamé que la crise était finie, confondant sa phase monétaire initiale avec sa poursuite dans les profondeurs du système bancaire. Car, à nouveau, le même scénario se répète : les faiblesses cachées du système financier ne peuvent plus être dissimulées et apparaissent progressivement, la crise se transmet à l’économie, et le coût du sauvetage du système bancaire et des entreprises piliers de l’économie ne va cesser d’augmenter, tandis que la récession fera son œuvre.

Acte III. Déjà, les milliards ont commencé à valser et ce n’est pas fini. Après la banque Trust, ils tombent au profit de la banque d’Etat VTB – seconde du pays par la taille de son bilan – ainsi que Gazprombank, détenue à 36% par l’industriel gazier et conglomérat Gazprom, ces deux banques faisant l’objet des sanctions occidentales. La première va bénéficier de 1,6 milliard d’euros et la seconde de 1,1 milliard. Le milliard est l’unité de compte lors des crises financières, avec des pointes atteignant le millier de milliards !

Le montant de la facture du sauvetage de la Russie a déjà commencé à grimper, à peine une première épure ébauchée, et cela ne fait que commencer. Celui de la banque Trust va finalement coûter plus de deux milliards d’euros de prêts, qui vont être consentis à la banque pour les trois quarts, ainsi qu’a sa concurrente Otkrytié qui va la reprendre. Afin d’éviter toute prise de contrôle par l’État, la formule du prêt est utilisée, l’avenir dira quand il sera effectivement remboursé.

Trust étant le quinzième établissement en termes de volume des dépôts, sa déconfiture incite à se demander comment les autres banques ont été touchées, d’autant qu’il se confirme que les retraits de dépôts se poursuivent, bien que selon un rythme qui ralentit. Mais le gouvernement garde le silence à ce propos. Dans ces conditions, on comprend mieux la décision de la Banque de Russie d’alléger les obligations de fonds propres des banques, qui ne fait qu’entériner une situation acquise mais met en évidence leur fragilité. D’autres rapprochements bancaires sont à prévoir, et les besoins de soutien financier pourront vite excéder les 13 milliards d’euros votés par la Douma.

Le ministre des finances, Anton Silouanov, a déjà reconnu que l’économie allait chuter de la valeur de 4% du PIB en 2015, si le prix du baril de pétrole se stabilise à 60 dollars, tous les analystes s’accordant à penser qu’une hausse de la production destinée à le faire baisser n’est pas à l’ordre du jour. D’autres analystes s’attendent à un taux d’inflation « à deux chiffres » en Russie, ce qui pourrait le mener bien au-delà des 11,5% attendus pour l’atterrissage 2014. Le déficit budgétaire dépassera 3% si le prix du pétrole ne monte pas, est-il reconnu, et le gouvernement devra commencer à puiser dans ses deux fonds de réserves destinés aux mauvais jours. Mais ces prévisions déjà sombres se révéleront peut-être optimistes, quand le grand hiver russe sera venu !

La stabilisation du rouble, à grand renforts de ventes de devises dont les réserves ne sont pas inépuisables et d’un contrôle informel des changes, y résistera-t-elle ? Elles ont baissé de 510 milliards de dollars en début d’année à moins de 400 milliards aujourd’hui.

Le sauvetage des compagnies d’aviation étranglées sous les effets conjugués de la hausse du kérosène, de la baisse du trafic et du règlement de leurs leasings contractés en dollars afin de renouveler la flotte aérienne en fin de vie a dû intervenir dans l’urgence. Dans le cas d’Aeroflot, la plus importante d’entre elles, 60% de ses dépenses sont en devises et 90% de ses revenus en rouble.

D’autres mesures gouvernementales sont à l’étude, telles que le rachat des obligations émises en devises étrangères par les entreprises. Les grandes entreprises russes sont estimées devoir débourser l’année prochaine 120 milliards de dollars, et l’on parle d’un besoin de refinancement de 50 milliards de dollars…

La hausse des prix des produits de consommation courante va devoir être contenue, mais comment ? Une première mesure a été prise afin d’éviter la flambée du prix de la vodka, qui aurait pour conséquence le déport de sa consommation vers des produits frelatés, dans la grande tradition russe… Aux États-Unis, c’est le prix de l’essence qui compte dans l’opinion !