Taux, dette et monnaie : UNE HISTOIRE DE DÉSAMOUR, par François Leclerc

Billet invité.

Mercredi dernier, la Fed n’a finalement pas engagé l’augmentation de son taux directeur. La pression se renforçait pour qu’elle donne au moins un signal en ce sens, la question du choix des critères guidant sa décision se posant. La faiblesse du taux d’emploi avait dernièrement pris le pas sur toute autre considération dans les déclarations de Janet Yellen, sa présidente, et l’on ne parlait plus de la lutte contre l’inflation, son autre mission, et pour cause : mondiale, la pression déflationniste s’exerce y compris aux États-Unis. Toutefois, un déclin du chômage est officiellement enregistré dans le cadre d’une croissance qui frémit, ouvrant la voie si ce critère restait décisif à l’augmentation du taux de la Fed afin d’enrayer la progression de la bulle financière et de sonner la fin de la longue période d’argent facile qui en est à l’origine.

Alors pourquoi ne pas l’avoir décidé ? La précédente tentative de la Fed s’était traduite par un retrait massif et brutal des capitaux partis chercher du rendement dans les pays émergents, les déstabilisant. Dans un contexte de plus grande fragilité de ceux-ci, il est certes dorénavant recommandé de s’efforcer d’amortir un nouveau choc en multipliant les précautions et les avertissements. Plus la masse des capitaux pouvant circuler augmente, plus leurs mouvements sont redoutables quand ils interviennent, ne facilitant pas la navigation des banques centrales.

Mais le choc pourrait également intervenir dans les pays développés, si un retournement de marché intervenait sur le marché des obligations high-yield, à haut rendement, (souvent appelées par dérision junk, pour camelote) où les capitaux ont été chercher du rendement. Résultat de la chute du prix du pétrole, d’importantes ventes de titres des compagnies pétrolières ont été enregistrées, leur taux augmentant et faisant baisser leur valeur, ce qui pourrait déborder sur d’autres secteurs du marché high-yield. La hausse des taux de la Fed pourrait à son tour y contribuer, ce qui a conduit la Fed à différer toute décision et Janet Yellen à déclarer que la Fed « travaillait avec ces firmes pour accroître leur résistance à d’éventuels chocs » (en référence aux institutions financières américaines).

Mais, comme remarqué par Claude Borio de la Banque des règlements internationaux (BRI), un phénomène supplémentaire est préoccupant, qui a pu peser sur la décision de la Fed bien qu’elle ait son regard prioritairement braqué sur les États-Unis. La hausse du dollar entrainée par celle des taux aurait une très forte incidence sur la capacité de remboursement des entreprises des pays émergents lorsque leurs revenus sont dans leur monnaie nationale, devenant de facto dévaluée. Ce mécanisme est insidieux, ces entreprises souscrivant souvent leurs emprunts sur les marchés internationaux via des filiales étrangères, masquant le volume global de leur endettement, ce qui n’empêche pas de l’estimer gigantesque.

Trouvant une nouvelle illustration, le risque systémique est donc omniprésent. C’est ce que met en évidence l’étroite liaison qui existe entre l’endettement des entreprises et les mouvements d’ajustement monétaires, surtout quand ils concernent le dollar. Après avoir évoqué le cas général, un article de Gillian Tett dans le Financial Times le relève plus particulièrement dans le cas de la Russie, rajoutant cette dimension à la crise russe et par voie de ricochet sur les banques du pays. Le système bancaire russe va être très sévèrement secoué et devoir être recapitalisé sur fonds publics, dans un contexte de diminution des recettes pétrolières et de récession. L’époque des BRIC flamboyants est révolue.

Ce mécanisme liant crise de la dette et crise monétaire est en soi un problème, mais son caractère masqué l’est tout autant. Il illustre la complexité d’un système dont le contrôle devient de plus en plus problématique et met en évidence qu’une réforme monétaire d’ensemble est plus que jamais indispensable, bien que l’on ne voit pas ce qui d’autre qu’une grande crise à venir pourrait la provoquer. Quand à stopper la machine de l’endettement, c’est encore une autre histoire…