DANS QUEL BAIN L’EUROPE VA-T-ELLE PLONGER ? par François Leclerc

Billet invité.

Affectant la sérénité, la Compagnie française d’assurances pour le commerce extérieur (COFACE) diagnostique un simple « changement de régime de croissance » en Europe. L’Europe ne sombrerait pas dans la déflation, mais serait seulement entrée dans une phase prolongée de faible inflation et de croissance conjuguées. Sans s’interroger pour savoir si, la faible inflation en question se rapprochant de plus en plus du seuil fatidique de la déflation, la pertinence du distinguo ne tendrait pas à s’estomper un peu… Du sexe des anges !

L’idée généralement acceptée à propos de la déflation est qu’il faut à tout prix la prévenir, car il est difficile d’en sortir quand on y est tombé : le cas du Japon a de quoi faire réfléchir. Une seconde interrogation est donc actuellement sur toutes les lèvres : s’il est acquis que la BCE va intervenir devant cette menace, son second round de TLTRO (prêts bancaires à régime de faveur) étant aussi décevant que le premier, les mesures qu’elle prendra auront-elles l’ampleur nécessaire pour stopper la progression déflationniste ? Il se propage l’idée que la BCE pourrait faire les choses à moitié, en raison de contraintes politiques : la sacro-sainte indépendance de la BCE n’est plus que le souvenir estompé d’une fiction disparue, même les formes sont de moins en moins respectées.

La question suivante est toute trouvée : quand bien même la BCE déciderait d’agir plus franchement, afin d’accomplir sa mission de stabilité des prix, qu’elle ne remplit plus, et en raison de la multiplication sans désemparer de mauvaises nouvelles économiques, que peut-on pratiquement en espérer ? Il y a tout du miroir aux alouettes dans ce rêve éveillé, tant que les tiroirs au fond desquels sont enfouis les dossiers gênants resteront fermés : celui d’un système bancaire dont la réforme est abandonnée, et celui d’un désendettement qui ne passe pas. Les tenants de l’ordo-libéralisme n’ont pas tort quand ils s’opposent à l’assouplissement monétaire de la BCE et expliquent que la dette n’est pas tenable, mais ils se trompent totalement de moyen pour y remédier !

La baisse du prix du pétrole fait entre-temps l’objet d’analyses contradictoires. D’un côté, est-il remarqué, elle accentue la pression déflationniste, ses effets de second tour sur l’inflation sous-jacente étant difficiles à estimer ; elle pourrait de l’autre créer un choc de croissance, veulent espérer les adorateurs de la secte du culbuto, qui entendent le libérer de ce qui le retient. Ils font également état de l’affaiblissement de l’euro par rapport au dollar, cette autre planche de salut.. Pour Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, la baisse du prix du pétrole agirait même « mini-plan de relance », une manière de dédouaner le gouvernement allemand de ne pas plus investir, et d’inciter la BCE à rester l’arme au pied.

La spirale auto-entretenue de la baisse des prix et des salaires pourrait donc être contenue, laissant l’Europe flotter entre deux eaux, ce qui renvoie à l’hypothèse de la COFACE. Mais, quitte à se poser des questions, une autre mériterait d’être soulevée : de quel degré de stabilité la situation actuelle peut-elle être créditée ? Le coup d’arrêt à la régulation financière porté par la nouvelle commission n’y contribue certainement pas, et sans aller aussi loin les échéances politiques deviennent de plus en plus tendues.

Les taux obligataires allemand et français ne cessent de baisser devant l’afflux des capitaux cherchant un refuge, tandis que le taux grec renoue avec des sommets. L’incertitude politique qui s’approfondit à Athènes en est la principale cause : si le Parlement ne parvenait pas à élire un président de la République au cours des trois scrutins successifs de décembre, Syriza pourrait remporter les législatives anticipées qui suivraient la dissolution du Parlement, et arriver au pouvoir.

Un engrenage serait enclenché. Portées à leur paroxysme, les tensions pourraient vite déboucher sur une sortie de la Grèce de l’union monétaire, aux conséquences au sein de la zone euro imprévisibles. Car les éléments d’un compromis empêchant d’en arriver là ne sont pas réunis, ni en Grèce, ni au niveau européen. La restructuration de la dette grecque ne pouvant plus continuer à être repoussée, et les gouvernements européens et le FMI ne pourront plus prétendre au remboursement comme convenu des quelques 220 milliards d’euros prêtés.

Quelques remous seraient alors à en attendre, mais chut, il ne faut pas en parler !