Europe : TROP PEU ET TROP TARD (ET PAS COMME IL FAUT) ! par François Leclerc

Billet invité.

Trop peu et trop tard, telle pourrait être la devise des dirigeants européens, car ils ne se démentent pas dans leur comportement ! Les marchés financiers bruissent de rumeurs suite à la déclaration d’aujourd’hui de Mario Draghi, devant les banquiers allemands s’il vous plait : « Nous sommes prêt à recalibrer l’ampleur, le rythme et la composition de nos achats si nécessaire » a-t-il lancé en ajoutant cette fois-ci « sans délais indus », pour ne pas se répéter. La responsabilité en incombe selon lui à l’inflation, dont le taux est désormais qualifié de « très éloigné » de l’objectif proche de 2%. Devant le Parlement européen, il avait déjà fait passer le message, confirmant que le temps n’est plus à la référence rassurante à des anticipations d’inflation, auxquelles plus personne ne croit.

Ce n’est plus un ballon d’essai, c’est un Zeppelin, mais on attend toujours le passage à l’acte ! Car, dans ce nouveau domaine, Mario Draghi n’a aucune certitude de rééditer avec succès le fameux « la BCE fera tout ce qu’il faudra », qui avait à lui seul calmé le jeu sur le marché obligataire. Sans même attendre, ces nouvelles petites phrases en disent long sur ce que son président espère des dernières mesures tout juste engagées par la banque centrale, afin de dynamiser le marché de la titrisation – pour relancer le crédit aux entreprises – et de refinancer les banques à prix d’ami, sous cette même condition affichée pour la circonstance.

On comprend l’impatience des marchés, bien qu’il y soit répondu par la décision de la Banque du Japon d’amplifier son programme d’injection de liquidités, qui a le bon goût d’intervenir au moment où la Fed restreint le sien ! La course folle sur les marchés financiers a besoin d’être alimentée par de nouvelles disponibilités à bas prix, avec comme double conséquence de continuer à faire dangereusement enfler – non plus de simples bulles dans des domaines d’activité spéculatifs – mais la sphère financière en tant que telle ainsi que de poursuivre l’accroissement caricatural de la distribution inégale de la richesse, ce qui est tout aussi lourd de conséquences bien que dans un autre domaine. Au passage, cette richesse n’est pas bien nommée, car elle anticipe une croissance économique qui est en déclin, précaire ou quasi inexistante suivant les régions et les pays.

Mais on comprend moins l’espoir qui est mis dans l’ouverture des vannes par la BCE, car rien n’indique – tout au contraire – qu’elle pourrait susciter une relance économique, seule manière de sortir du piège actuel. Sans chercher plus avant (car il y a de quoi dire), les outils de la politique monétaire n’y sont pas adaptés, comme l’exemple japonais continue de le montrer sans ambiguïté.

Côté plan d’investissement européen, les négociations battent leur plein en attendant de connaître le mois prochain la couleur du lapin qui va sortir du chapeau, celui qui a pour mission de remédier à une panne d’investissement, dont la réparation va tout résoudre nous est-il à nouveau promis. En l’occurrence, l’effet de levier qui va être recherché afin de réunir les 300 milliards d’euros annoncés, avec comme paramètre pour le calculer la mise de fond publics qui sera opérée. A cet égard, les mauvais esprits, de plus en plus légion, font déjà état du recyclage intensif de budgets existants, ou des maigres 10 milliards d’euros annoncés par le gouvernement allemand afin de se soulager à moindre coût de la pression qu’il subissait.

Les mêmes jamais contents ne manquent pas de s’interroger sur les garanties qui vont être fournies à ces investisseurs privés si sollicités, afin qu’ils sortent leur carnet de chèque. Il est à cet égard question d’utiliser la technique du saucissonnage en tranches de CDO émis par un fonds d’investissement qui serait constitué à cet effet, afin que les fonds publics soient les premiers mis à contribution en cas de pertes. Il a aussi été dûment noté que la Banque européenne d’investissement (BEI), aux manettes de laquelle se trouve un directeur allemand, Werner Hoyer, a été chargée de déterminer les projets qui pourraient bénéficier de la manne attendue. La maison est bien gardée.

Les investisseurs privés ne sont pas appelés à la rescousse avec cette unique intention. Donnant-donnant, ils vont pouvoir faire valoir qu’il faut desserrer les freins faisant obstacle à leur démarche et accélérer des réformes structurelles sans lesquelles leurs apports ne sauraient être rentables. La fiscalité, trop élevée, figure au premier rang de leurs préoccupations, selon une étude de l’Agefi qui les a interrogés en France. Viennent ensuite et sans plus de surprise aussi bien la réforme du coût du travail que celles des retraites et de la sécurité sociale. On est prié de leur reconnaître une certaine logique.

Est-ce en raison de ce point d’appui que d’autres rumeurs font état de la détermination du gouvernement allemand d’obtenir de son homologue français un plan à ses yeux crédible de réformes structurelles, dont il donne un menu proche de celui qui est délivré par les investisseurs ? Par défaut, cette exigence prend progressivement le pas sur le respect immédiat des ratios de déficit et d’endettement. Le Commissaire Guenter Oettinger, un proche d’Angela Merkel au sein du CDU, l’a clairement énoncé ce matin dans le Financial Times et les Échos.

Niant qu’il soit sinon question de se voir infliger une pénalité financière, Michel Sapin est parti chercher des appuis pour sortir de cet autre piège, en Espagne, au Portugal et en Italie, où il entame une tournée qui le conduira au final à Berlin. Mais l’étau se resserre, les dirigeants allemands n’étant pas prêts à mettre de l’eau dans leur vin, comme en témoigne l’intransigeance dont fait preuve la Troïka en Grèce, dont il était espéré plus de souplesse afin de faciliter la tâche électorale d’Antonis Samaras, le premier ministre.

Tous autant qu’ils sont, ils se révèlent leurs meilleurs ennemis !