Billet invité
En sept ans, la crise déclenchée au centre de la planète financière s’est progressivement étendue pour devenir mondiale, et nous en sommes là… Contenue avec succès dans la précipitation, d’aiguë elle est désormais chronique et sourde. Simultanément, elle s’est diversifiée, de financière devenant économique, puis sociale et enfin politique. Aujourd’hui, elle est incontrôlable, chacun de ses niveaux pris séparément ou pire considérés tous ensemble dans leurs interactions. Et le mot crise a presque disparu, usé, signe qu’elle s’est banalisée.
Le spectacle offert par les dirigeants politiques – par exemple à l’occasion d’un G20 représentant une gouvernance mondiale dont la référence a également disparue – illustre combien ils peinent à faire semblant de maîtriser une situation qui leur échappe. Leurs sursauts permettent de mieux mesurer leur impuissance. Ici, ils tentent de reprendre pied en adoptant – pour certains – des mesures contre l’évasion et l’optimisation fiscale afin de combattre l’érosion de la base fiscale des États et de conserver des marges de manœuvre. Là, ils multiplient les enquêtes et les amendes contre des mégabanques dont la liste des malversations ne cesse de s’allonger, en espérant les inciter à revenir dans le droit chemin et ne faisant que repousser les conduites délictueuses au sein du shadow banking impénétrable.
Les dirigeants politiques ne sont pas seuls à rechercher leur équilibre, les impératifs contradictoires ne leur étant pas réservés. Les banques centrales, sauveurs en dernier ressort, doivent ainsi choisir entre stopper ou poursuivre (ou élargir le champ) de leurs mesures non-conventionnelles. Et les marchés financiers ne sont pas mieux lotis devant les menaces comparées de la déflation et de la restructuration de la dette. Dans tous les cas, quelle est la moins mauvaise des options ?
Les financiers s’inquiètent aujourd’hui d’une crise de liquidité montante, dont l’effet systémique serait de gripper les transactions financières, non sans relation avec l’optimisation du collatéral disponible les garantissant. Un phénomène contredit par l’effritement d’une autre base, qui touche l’activité financière aussi sûrement que celui des ressources fiscales qui atteint les États et amoindrit leur capacité de désendettement : celle de la qualité de la dette souveraine, dont la fiction de l’absence de risque ne va pouvoir être éternellement maintenue.
La croissance n’opère plus sa magie, car elle ne génère plus globalement les excédents budgétaires permettant de gérer l’endettement acquis. Elle ne crée pas non plus d’emplois et l’on en vient à s’interroger, non plus sur son mode de calcul comme dans les années glorieuses où elle subsistait, mais sur son origine. À s’aventurer sur la fausse piste de la compétitivité comparée des économies – un jeu où il ne faut pas être le perdant – ou à espérer dans de nouveaux gisements de productivité. D’où l’engouement pour les nouvelles technologies et l’économie numérique, dont il n’est vu que la promesse de business sans appréhender toutes les mutations qui vont en résulter, dont la robotisation intensive du travail et ses conséquences.
Au chapitre social, le développement croissant des inégalités en raison des rendements procurés par l’activité financière semble irrésistible, introduisant lui aussi une impasse dans un système dont la consommation est le principal moteur et le crédit son carburant de substitution. Rejaillissant sur une instabilité politique multiforme, suivant l’histoire et le contexte de chaque pays, rappelant la phrase célèbre décrivant une situation où ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant, tandis que ceux d’en bas ne le veulent plus.
Mais cette conjonction défavorable est loin de produire une issue prévisible, et il va falloir non pas composer mais vivre avec l’incertitude qu’elle suscite, en attendant de pouvoir la lever. Non seulement dans les idées, mais également dans les actes. Un processus pour une bonne part souterrain dont l’aboutissement n’est pas garanti, rythmé par des expériences exemplaires, des initiatives minoritaires au retentissement collectif qui déjà ont pris leur assise. Partage, échange ou collaboratif en sont quelques-uns les maîtres-mots, suscitant des pratiques aux croisées des chemins. Toutes les cartes sont sur la table, toutes les pistes sont ouvertes, dont certaines sont prometteuses, comme la réflexion sur les biens communs, cette autre forme d’appropriation et d’usage que la propriété privée ou d’État.