UNE JOURNÉE TOUT COMME LES AUTRES, par François Leclerc

Billet invité.

En raison de manipulations avérées sur le gigantesque marché des changes, une sélection choisie de mégabanques a été condamnée à des amendes de plusieurs milliards de dollars par les autorités compétentes américaines et britanniques, en attendant la suite car d’autres enquêtes ne sont pas finies. Quand ce ne sont pas les entreprises transnationales qui échappent à la taxation de leurs bénéfices, au gré de gouvernements complaisants, ce sont les traders des banques qui en douce font leurs petites affaires. Quel monde ! Il ne manquerait plus d’apprendre qu’un organisme surveille à très grande échelle et dans le monde entier les communications de tout à chacun.

Pris avec les LuxLeaks la main dans le pot à confiture à peine entré en fonction, le nouveau président de la Commission et ex-premier ministre du Luxembourg reconnaît que son pays n’a peut-être pas un comportement moral et éthique et que cela va à l’encontre de la « justice fiscale », mais fait valoir qu’il n’est pas « politiquement responsable ». Il noie le poisson en arguant que d’autres pays ne sont pas plus exemplaires et excipe du risque de conflit d’intérêt pour ne rien faire en envoyant la balle à sa commissaire en charge. Courage, fuyons ! Il propose l’adoption de taux d’imposition communs à l’Union européenne en sachant qu’il y sera fait obstacle, l’unanimité étant de règle en matière fiscale. Le gouvernement irlandais, fidèle à son rôle, n’a d’ailleurs pas tardé à lui donner raison. De son côté, le gouvernement allemand tonne et l’autorité de Jean-Claude Juncker n’en sort pas grandie, laissant les chefs de gouvernement plus à l’aise pour poursuivre leurs petits jeux.

La Troïka, elle aussi, est aux prises avec des impératifs contradictoires au Portugal et en Grèce. D’une main, elle réclame de nouvelles mesures pour que ces pays restent dans les clous, de l’autre elle voudrait éviter de mettre de l’huile sur le feu. Faute d’avoir décidé un assouplissement de sa politique, le triumvirat chargé des basses œuvres (troïka en russe) ne sait plus sur quel pied danser. C’est ce moment que choisit Pierre Moscovici, inaugurant ses fonctions de commissaire, pour saluer la réussite de la politique d’ajustement, le terme le plus anodin trouvé pour désigner le désastre qu’elle a créé.

Au titre des déclarations de circonstance sans autre effet, l’intervention de Christine Lagarde au nom du FMI en cette veille de G20 de Brisbane (Australie) mérite une reprise. Après avoir pris connaissance du projet de communiqué final, elle a exprimé sa « confiance » dans le fait que l’objectif de croissance de 2% du PIB des pays du G20 dans les cinq prochaines années allait être adopté. Mais cela sera insuffisant pour créer « tous les emplois nécessaires » a-t-elle ajouté, se contentant de saluer « le pas en avant » qui va être accompli grâce aux investissements privés dans les infrastructures… Quelle science !

Soumis à une forte pression, le gouvernement allemand annonce un effort d’investissement public de 10 milliards d’euros d’ici 2018, tout en maintenant fermes ses objectifs de déficit zéro. Il n’y aurait pas de « faiblesses pathologiques » à l’investissement, proclament les « Sages », ce groupe d’économistes érigé en conscience morale. Il vient à la rescousse devant les critiques qui ont de partout fusé à propos de la goutte d’eau que représente ce plan destiné à couper court à la poursuite des pressions. Abaissant à leur tour les prévisions de croissance de l’Allemagne, les « Sages » s’en tirent en reconnaissant la faiblesse de l’investissement public pour magnifier le privé. On est en plein conte de fées.

Les Sages critiquent la politique suivie par la BCE, « porteuse de risques pour l’évolution économique de la zone euro » car source d’un « relâchement des efforts de réforme et de consolidation budgétaire dans les pays membres ». Que nous prépare la BCE, s’interrogent les esprits les plus aiguisés qui n’ont pas d’autre planche de salut ? Tous les espoirs sont mis dans un programme d’achats de titres obligataires des entreprises – et non des États – dont l’annonce est incertaine et la dimension bien davantage. En effet, les grandes entreprises ne rencontrent pas de difficultés pour se financer directement sur le marché, et les petites ne sont pas outillées pour y procéder. Sous les auspices de la Commission, un plan serait en cours de préparation afin de les aider et de contribuer à réanimer ce serpent de mer qu’est la titrisation, à charge pour la BCE d’acquérir ces titres en fin de parcours. L’effort est méritoire, mais la circonspection est de rigueur.

S’agissant des efforts des uns et des autres, la Fédération des banques françaises (FBF) mérite incontestablement de se voir décerner une médaille. Ayant le sentiment justifié d’être sur la bonne voie à propos de la taxe sur les transactions financières – le gouvernement s’étant fait son porte-parole pour la réduire à minima – elle dénonce « une nouvelle augmentation des impôts » pour s’inscrire dans l’air du temps. La FBF s’insurge contre une « triple peine » : déjà assujetties à une « taxe systémique » dont elle demande l’abrogation, les banques françaises voient venir le prélèvement que représentera leur contribution au fonds de résolution de l’Union bancaire. Mais quelle est donc la troisième peine ? Une « non déductibilité [de l’impôt] » de ces deux taxes ! Argument invoqué pour la réclamer (*) les montants correspondants se traduiront « mécaniquement par une baisse des capacités de prêt des banques d’au moins neuf milliards d’euros par an ». Avec la FBF, on n’est jamais déçu.

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(°) Michel Sapin, ministre des finances, a confirmé à Martine Orange, qui l’a rapporté dans Médiapart, que ses services étudiaient la déductibilité de la contribution des banques au fonds de résolution. Ce qui contredirait formellement, si cela devait être adopté, l’objectif poursuivi par la création de ce fonds : protéger les contribuables en faisant payer les banques en cas de renflouement bancaire.