Billet invité.
On n’a pas fini de sortir des cadavres des placards : le Luxembourg favorisait à grande échelle l’optimisation fiscale de 340 grandes entreprises transnationales entre 2002 et 2010, du temps où Jean-Claude Juncker en était le premier ministre, et la BCE a en 2010 pratiqué un chantage caractérisé sur le gouvernement irlandais, afin que l’État fasse sa demande d’un plan de sauvetage et prenne à sa charge le sauvetage des banques du pays, et celles des banques européennes qui en étaient les créancières du même coup, du temps où Jean-Claude Trichet en était le président.
Les deux larrons sont pris la main dans le sac, et même si ce ne sont pas à proprement parler des révélations, les preuves en sont désormais étalées sur le tapis. Le Irish Times a publié la lettre adressée par la BCE au ministre irlandais des Finances de l’époque, Brian Lenihan, et le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a rendu public, sous le nom de Luxleaks, 28.000 pages de documents provenant de PriceWaterhouseCoopers, la grande société d’audit, de conseil et d’expertise comptable, en première ligne au nom de ses mandants lors de négociations fiscales à répétition sous couvert de la procédure du « tax ruling » luxembourgeoise.
On savait que les paradis fiscaux n’étaient pas tous des destinations exotiques, et que le Luxembourg – l’un des pays fondateurs de l’Europe – en était l’un des fleurons, puis l’on a enregistré que c’est en toute connaissance de cause que son premier ministre a été choisi comme président de la Commission, comme si cela n’importait pas. On n’ignorait pas davantage que la BCE était sortie du cadre de sa mission statutaire pour dicter à l’Irlande sa politique, comme cela a depuis été le cas pour Chypre et l’Italie, mais son intervention désormais prouvée – la BCE ayant depuis également publiée la lettre en question, après avoir tout tenté pour qu’elle ne le soit pas des années durant – éclaire crûment les dessous de la politique européenne.
Jean-Claude Juncker va se réfugier derrière la légalité du « tax ruling » et des accommodements fiscaux qu’il permet d’accorder dans l’ombre, quitte à ce que la Commission intervienne pour faire stopper cette pratique et ce qu’elle permet. Quant à la sortie de piste de la BCE, Mario Draghi a expliqué hier que l’on ne peut pas regarder le passé avec les yeux d’aujourd’hui ! Les ministres des finances allemand et français ont immédiatement volé au secours de Jean-Claude Juncker, pris à contrepied à peine entré en fonction. En le défendant, Michel Sapin se commet à nouveau dans les basses œuvres, après avoir préconisé le rétrécissement du périmètre de la taxe sur les transactions financières (TTF) aux seules actions et Credit-default Swaps (CDS) ne passant pas par des chambres de compensation. Avec comme argument qu’il ne faut pas « faire fuir l’activité financière en-dehors de nos pays », ou pour être plus clair afin de protéger les activités spéculatives des mégabanques sur les produits dérivés en général.
L’optimisation fiscale des entreprises transnationales est en ce moment la grande affaire, et l’on suivra avec intérêt les enquêtes diligentées par la Commission à ce propos, notamment dans le cas d’Amazon. Sans attendre, et pour contrebalancer les effets de la disparition à la demande pressante des autorités européennes du « double Irish » – cette disposition de la réglementation fiscale nationale qui permettait aux grands entreprises de transférer leurs bénéfices dans des paradis fiscaux, où ils étaient exonérés d’impôt – les députés irlandais vont adopter de nouvelles dispositions leur étant favorables. Une nouvelle loi devrait en effet permettre aux entreprises de ne payer aucun impôt sur les revenus tirés de la propriété intellectuelle, l’une de leurs méthodes favorites pour localiser les profits là où ils sont les moins taxés (jusqu’à maintenant, ils bénéficiaient d’un abattement de 80%).
Pour mémoire, et après avoir jeté un coup d’œil dans un dernier placard, on observera l’avalanche d’enquêtes sur les pratiques bancaires délictueuses qui se poursuit. Afin de suivre plus particulièrement celles qui portent sur les manipulations du marché des changes. JP Morgan Chase a annoncé lundi dernier être visé par une enquête pénale menée par le ministère de la justice américain, une première car ce sort était jusqu’à maintenant réservé à des traders jouant les lampistes. Avec cinq autres banques – Citigroup, UBS, Barclays, RBS et HSBC – la mégabanque d’affaires américaine négocie un accord collectif avec les autorités de régulation britannique et américaine, qui serait assorti d’une amende de plusieurs milliards de dollars. Cela ne s’arrête pas là : au Royaume-Uni, après le scandale des assurances crédit forcées, pour lequel Lloyds a dû à elle seule provisionner 14,5 milliards d’euros, une autre enquête a démarré. Elle porte sur d’éventuels abus de position dominante sur les marchés des comptes courant et des services aux PME : quatre établissements, Lloyds, Barclays, HSBC et RBS, disposent de trois quarts de ces 3,5 millions de comptes. Effet du hasard, à n’en pas douter, on retrouve toujours les mêmes, l’addition de cas particuliers faisant un cas général.
Ils ont décidément bien du talent…