Billet invité.
Hors de question de reconnaître la spirale descendante dans laquelle l’Europe est placée, car cela impliquerait de reconnaître s’être égaré ! En dépit des mauvaises nouvelles qui s’accumulent à propos de la croissance et de la déflation, les dirigeants européens ne donnent aucun signe tangible de changement de politique, animés par l’idée que ce n’est qu’un mauvais moment à passer et qu’il faut tenir. Eux-même semblent convaincus – ou font comme si – qu’il n’y a pas de politique alternative à celle qu’ils ont choisie, et ils cherchent simplement à l’assouplir. Devant le rejet que celle-ci suscite, ils voudraient la rendre moins explosive en trouvant des accommodements. Tout en spéculant sur la résignation et en laissant supposer que, sans eux, cela serait pire encore. Mais ils ne sont finalement parvenus qu’à mettre en évidence qu’ils sont sans prise sur les événements.
Les dirigeants italiens et français essayent de biaiser afin de ne pas avoir à prendre brutalement des mesures dont ils connaissent l’impopularité – et dont ils craignent les effets en retour – afin de les distiller progressivement tout en les limitant autant que possible. En Espagne, en Grèce et au Portugal, où ils n’ont pas fait dans la nuance, les gouvernements se préparent à prochainement affronter des échéances électorales et allègent à petite dose le fardeau afin de rester dans le jeu. Quand à la BCE, sauveur de dernier ressort désormais en première ligne, elle prend à force de jouer petit bras le risque de faillir à sa réputation et de trahir les espoirs qui sont portés en elle dans la confusion.
Afin de faire prévaloir la continuité de la politique de désendettement actuelle, à des petits aménagement près, des relais gouvernementaux ayant subi l’onction démocratique sont indispensables, et c’est un des enjeux de la crise politique multiforme en cours que de les trouver. En Espagne et au Portugal, la solution pourrait résider dans la mise sur pied de gouvernements de coalition des partis… de gouvernement, afin qu’ils s’épaulent mutuellement. Quitte à changer pour certains leur équipe de direction, ce qui est déjà fait pour les socialistes espagnol et portugais. Mais après en avoir été proche on s’en éloigne. Le PSOE espagnol préférerait désormais obtenir le soutien de Podemos à un gouvernement minoritaire, plutôt que de s’allier avec le Partido Popular au sein d’une grande coalition, car ce serait « nuisible à la démocratie ». De son côté, Podemos revendique à lui seul la majorité, « non par arrogance, mais par nécessité » selon leader Pablo Iglezias, qui voit en Syriza un exemple à suivre pour s’en inspirer.
Syriza représente un plus grand danger (1) que le Mouvement des 5 étoiles en Italie et Podemos en Espagne – en dépit des sondages qui accordent à ce dernier la première place pour les intentions de vote – car ils ne sont pas considérés comme aussi proches du pouvoir mais comme de puissants troubles-fêtes, avec lesquels il faudra compter.
La Grèce fait actuellement l’objet de toutes les attentions (2), en raison de la proximité des élections législatives, qui pourraient intervenir dès mars prochain. Antonis Samaras, le premier ministre, fait feu de tout bois afin de se blanchir et de les aborder dans les meilleures conditions, son parti Nouvelle Démocratie étant au coude à coude avec Syriza dans les sondages. Afin de pouvoir s’en prévaloir, il voudrait se dégager en fin d’année de la très impopulaire tutelle de la Troïka, tout en conservant le filet de sécurité financier que pourraient représenter les fonds européens destinés au renflouement des banques, une fois leur affectation changée, après avoir prétendu s’en dispenser et suscité une vive réaction des marchés financiers. En contrepartie, Antonis Samaras est tout prêt à s’engager à poursuivre un programme de réformes, et à être vertueux à condition de redevenir maître à bord. Mais ce chemin est pavé d’embûches, le FMI n’en étant pas la moindre, et il est peu probable qu’une telle latitude lui soit laissée. Il aura toujours tenté.
Les gouvernements vont être placés sous une double contrainte : celle du marché des capitaux qui peut se réveiller, et le contrôle de la Commission, du FMI et de la BCE, qui va se poursuivre tant que les prêts ne seront pas remboursés. Ces derniers ont besoin de gouvernements élus capables de répercuter les contraintes de leur politique, pour s’abriter derrière plus discrètement. Mais ce calcul politicien suppose que la croissance reparte et que la déflation ne s’installe pas… Or cela impliquerait de disposer des moyens de briser ce cercle vicieux, ce qu’elle interdit.
Selon la Cour des comptes italienne, une nouvelle contraction de l’économie du pays s’annonce sous les effets des mesures inscrites au budget 2015, dont les prévisions de recettes fiscales sont sur-estimées. La fuite en avant se poursuit.
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(1) Alexis Tsipras a samedi dernier réaffirmé qu’en cas de victoire aux élections, Syriza réclamerait une décote de la dette publique, le remboursement d’un prêt forcé de la Banque de Grèce au IIIème Reich, ainsi que le gel des remboursements aux créditeurs internationaux, afin de réinjecter les fonds correspondants dans l’économie du pays afin de l’impulser.
(2) Les tests des banques grecques ont été cléments, leurs besoins de financement complémentaires ayant été presque intégralement couverts depuis janvier dernier. Sous condition de poursuite par le gouvernement de son plan de redressement, la BCE a décidé le 15 octobre dernier de réduire la décote sur leurs titres apportés en garantie, ce qui va leur permettre de lui emprunter bien d’avantage.