Billet invité.
Afin de poursuivre dans la veine à rebrousse-poil – après avoir constaté que les Allemands n’ont pas toujours tort et que les Américains s’emparent de la question des inégalités que les Européens ignorent – va-t-il falloir cette fois-ci s’incliner devant les efforts et la ténacité des régulateurs, en visant plus spécialement les Américains car les Européens semblent décidément en roue libre ?
Certes, souligner leur opiniâtreté ne vaut pas gage d’efficacité, mais celle-ci fait contraste avec la capacité qu’ont leurs collègues européens à enterrer les réformes et les taxes financières les unes après les autre afin de protéger leur système bancaire. Est-ce à mettre en parallèle avec la fin de la complaisance coupable des régulateurs américains, en enregistrant la suite ininterrompue d’enquêtes, de poursuites, d’amendes, et semble-t-il bientôt de peines d’emprisonnement visant désormais la tête et non plus les comparses ? Que d’idées en sortiraient dérangées…
William Dudley, président de la Fed de New York qui est aux premières loges de la surveillance des banques, ne vient-il pas de déclarer devant un parterre de leurs représentants qu’il voyait « un problème de culture » au sein du monde bancaire, un discours impensable dans la bouche de Christian Noyer ou de Jens Weidmann, les gouverneurs de la Banque de France et de la Bundesbank ?
Hélas, il y a encore loin de la coupe aux lèvres en matière de régulation. Le Conseil de stabilité financière (FSB) – ce dragon embarrassé par ses mille têtes, la multitude des organismes qui le constitue – le démontre en posant les timides premiers jalons d’une régulation du shadow banking. Elle s’imposait à ses yeux, en souvenir de l’hémorragie des capitaux qu’avaient connu dans la foulée de l’effondrement de Lehman Brothers les fonds monétaires et le marché des repos (où les banques vont se financer à court terme), l’équivalent d’un retrait dans la panique des dépôts pour une banque. Le FSB s’est donc décidé à imposer une décote au collatéral garantissant les transactions des non-banques avec les banques, afin de prendre en compte leur dévalorisation en cas de crise, dans le but de renforcer cet énorme marché (5.500 milliards d’euros pour l’Europe).
Mais une telle décote – qui ne s’appliquera pas aux obligations souveraines et laisse donc intacte la fiction de leur risque zéro – est un faible rempart, des pertes supérieures à 6% étant vite arrivées sur les marchés d’actions. Autre objection : commencer à réglementer les relations des banques avec des composantes du shadow banking, c’est prendre le risque de voir les transactions s’enfouir plus profond au sein de ce monde opaque, par exemple entre les non-banques qui ne sont pas concernées par les nouvelles règles.
Les régulateurs du FSB sont au cœur de leurs propres contradictions et cela émousse leur volonté. Reconnaissant au shadow banking un rôle financier qu’il faut préserver en ces temps de désintermédiation -les banques du secteur régulé ne répondant pas aux attentes afin de relancer l’économie – ils veillent à ne pas trop le brider ! Mais où placer le curseur ? Les bonnes volontés ne suffisent pas quand on s’impose des limites, tout aussi bien qu’en cherchant à endiguer les dérives d’un système sans reconnaître qu’elles sont structurelles. En fait de limites, c’est ce pas qu’il faudrait franchir. Le capitalisme ne donne toujours pas de signe tangible de s’amender, doit-on s’en étonner ?