Billet invité
Tel un volcan qui donne soudainement les signes précurseur d’un réveil toujours possible, les marchés ont eu hier et poursuivent ce matin un gros hoquet, se rappelant ainsi à notre mauvais souvenir. De tous côtés, aux États-Unis, au Japon et en Europe, la situation reste précaire et les signes s’en sont dernièrement multipliés, les incertitudes sur l’atterrissage et la stabilisation de l’économie chinoise venant s’y ajouter. Aucun pays ne peut toujours se prévaloir d’avoir retrouvé une santé restant florissante.
Les marchés financiers ont hier perdu pied et Wall Street en a donné le signal à la suite de la publication de trois indicateurs indiquant une baisse des ventes au détail aux États-Unis, un fort ralentissement de la production industrielle dans la région de New York et un accroissement des stocks des entreprises. L’Allemagne venait tout juste d’envoyer de mauvais signaux. Les bourses européennes ont suivi et enregistré des baisses brutales, concédant jusqu’à plus de 6% à Athènes et de 3 à 4% en moyenne. A Tokyo, le Nikkei enchaînait ensuite à la baisse.
Selon un mouvement traditionnel de balancier, les investisseurs se sont rués sur le marché obligataire, avec comme effet une baisse accentuée du rendement des titres souverains où ils trouvent refuge, américains, allemands et même français, relativisant l’alarmisme ambiant pour qui veut y échapper. Par contraste, de fortes hausses des rendements des titres italiens, espagnols et grecs qui étaient délaissés ont été enregistrés. Sans surprise, le cours de l’or montait et ceux des matières premières industrielles et du pétrole poursuivaient leur lente baisse.
Une émission obligataire espagnole incomplètement souscrite, l’annonce d’un soutien de la BCE aux banques grecques, il n’en fallait pas plus pour que les marchés boursiers européens continuent à chuter ce matin.
L’Europe est plus que jamais le point faible, et en son sein à nouveau la Grèce. La Commission est à la recherche d’une « solution crédible » à la sortie du pays de son plan de sauvetage, s’efforçant de placer une ligne de crédit de précaution, que le premier ministre en pleine campagne électorale voudrait éviter étant donné les conditions qui lui seront assorties. Car, dans tous les pays du sud de l’Europe qui ont été sauvagement touchés par les mesures d’austérité (la « dévalorisation interne » des économistes bien pensants), les gouvernements en place s’efforcent de ne pas rajouter à la peine, voire de l’adoucir un peu, exprimant qu’ils sont au bout de leur rouleau.
C’est le cas aussi bien au Portugal qu’en Irlande, ainsi qu’en Espagne où Mariano Rajoy observe avec inquiétude la détérioration de la situation économique française, en raison de son fort impact sur les exportations du pays. Lui aussi placé devant une échéance électorale l’année prochaine, le premier ministre portugais n’est plus le bon élève de la classe d’hier, ne respectant pas ses objectifs de réduction du déficit ; ses marges de manœuvres sont moindres que celles de son collègue irlandais, pays qui continue d’être en Europe la tête de pont des compagnies transnationales, en dépit de la modification de sa réglementation leur permettant de minorer leur imposition sur les bénéfices grâce au « double irlandais » (tout en maintenant un taux d’imposition le plus bas d’Europe), qui prendra effet… en 2020.
La baisse des exportations allemandes avait auparavant montré que le ver est dans le fruit : la zone euro concentrant les échanges commerciaux entre ses membres, la forte tendance récessive s’y propage en raison de la diminution des flux d’exportation. Face à ce phénomène d’implosion économique, la BCE est désarmée, contrairement à l’implosion financière qu’elle peut prétendre contenir. Elle l’est tout autant face aux pressions déflationnistes qui, selon les dernières données publiées, s’intensifient dans la zone euro (ainsi qu’au Royaume-Uni par contagion). Selon Eurostat, l’inflation a été de 0,3% en septembre. Le risque d’un basculement dans la déflation se concrétise, et Michel Sapin, le ministre français des finances, reconnaît que celui d’un scénario à la japonaise se précise. La mesure de l’inflation sous-jacente – qui exclut les prix soumis à intervention de l’État (généralement à la hausse) du pétrole et des produits alimentaires qui sont particulièrement volatiles et dans le second cas saisonniers, en fait foi.
Côté réaction des autorités compétentes, ce n’est pas particulièrement impressionnant. Ou plutôt si, à considérer l’inflexibilité maintenue des dirigeants allemands, sociaux- démocrates membres de la grande coalition y compris, qui entérinent la baisse de la croissance allemande sans dévier de leur bataille contre l’hydre de la dette publique, critère unique de la pensée unique. « Il n’y a aucune raison pour le gouvernement allemand de dévier de la ligne de sa politique économique, budgétaire et sociale », a affirmé mardi le ministre social-démocrate de l’économie Sigmar Gabriel, présentant des prévisions de croissance revues en baisse. « L’Allemagne n’est pas en récession, mais toujours sur une trajectoire de croissance » a-t-il fait valoir, ajoutant : « faire des dettes en Allemagne ne créerait pas de la croissance en Italie, en France, en Espagne ou en Grèce ».
Ultime ligne de défense, le plan pluri-annuel de Jean-Claude Juncker s’effiloche sous les coups de boutoir du gouvernement allemand, qui ne veut pas entendre parler de l’utilisation des fonds du Mécanisme européen de stabilité (MES) et observe avec suspicion les montages financiers élaborés par la Banque européenne d’investissement (BEI). Une opération de la dernière chance est improvisée avec la mission confiée à l’Allemand Henrik Einderlein et au Français Jean Pisani-Ferry, qui doivent ensemble élaborer « des propositions communes sur des réformes en France et en Allemagne » destinées à stimuler dans ces deux pays « une croissance durable », selon le porte-parle du ministère allemand de l’économie. Vous avez bien lu : des propositions communes de réformes que chacun mènera de son côté ! Et l’épineuse question des investissements ne sera que l’un des aspects des travaux.
Une seule question se pose dorénavant : quelle va devoir être l’amplitude des signaux à venir pour qu’il en soit tenu compte ? Faut-il rappeler l’envolée attribuée à un chef de gouvernement, qui est restée célèbre : « nous étions au bord du gouffre et nous avons fait un pas en avant ! ».
Vite, vite ! un compromis même bâclé ! le sommet des chefs d’États et de gouvernements s’approche dangereusement.
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(*) Pif le chien.
N.B. de F.L. : Une très regrettable confusion m’a fait attribuer à Pif le chien ce qui revient à Pifou, son fils. Indignés à juste titre, les lecteurs avertis n’ont pas manqué de protester. Pas glop !