Billet invité.
Jusqu’alors entouré de mystère et resté invaincu, le danger systémique a désormais un visage mais n’en sort pas glorieux. Non pas celui d’une panique bancaire des déposants (le retrait dans la panique de leurs fonds), mais le débouclage en catastrophe par les banques de leurs positions dans les produits dérivés. Produisant alors un effet cataclysmique garanti en raison du volume d’encours de ce marché – 7.000 milliards de dollars – et de la propagation de ces produits financiers dans les bilans bancaires, où ils sont particuliers concentrés dans les mégabanques. D’où leur nom de banque systémique. Le Conseil de stabilité financière (FSB) décidé en 2009 par le G20 – qui chapeaute tous les organismes publics nationaux et internationaux – a finalement établi en 2012 une liste de 29 établissements, après longue réflexion, et on attendait patiemment la suite.
Les contraintes de renforcement supplémentaires de leurs fonds propres de ces banques ne suffisant pas, de tout évidence, les régulateurs américain, Fed en tête, ont obtenu de l’International swaps and derivatives association (ISDA) qu’elle étudie avec ses membres des mesures complémentaires. L’ISDA est ce club très fermé qui regroupe les grands acteurs du marché des dérivés et fait la pluie et le beau temps sur celui-ci, décidant notamment s’il y a défaut ou pas lorsqu’un incident de payement intervient. On sait à ce propos que, toujours présentés comme assurances afin de les montrer sous leur meilleur jour, les credit-default swaps ont été détournés de leur objet initial et sont devenus pour la plus grande part un des jeux favoris et les plus fréquentés du grand casino. En fait d’assurance, ce sont des paris sur l’évolution du prix de leur sous-jacent qui ne méritent qu’un sort : leur interdiction.
Sous les auspices de l’ISDA, dix-huit mégabanques dont la liste donne une idée de la concentration du pouvoir financier (1) ont répondu présent, justifiant au passage qu’elles étaient bien juge et partie. On s’en doutait un peu, l’idée qui les a rassemblées ne consiste pas à réguler ce marché monstrueux, mais à s’efforcer de contenir les effets du retentissement de l’alarme quand elle retentit, lorsque l’un de ses acteurs s’écroule sous le poids de ses pertes. La méthode n’a rien d’original puisqu’il s’agit de gagner du temps, un art dans lequel les dirigeants politiques sont passés maîtres. Ignorant les causes, elle se concentre sur les effets, ce qui n’est généralement pas le meilleur moyen pour obtenir des résultats.
Tirant les leçons de la Sainte-frousse qu’ils ont connue lors de l’effondrement de Lehman Brothers, et n’ayant pas oublié l’improvisation dans laquelle ils ont dû agir dans l’urgence, les régulateurs avaient déjà exigé que les banques dressent à leur attention un « living will » (directives de fin de vie), une sorte de manuel leur permettant de voir plus clair dans le bilan qu’une banque qui connaitrait à son tour un plongeon. Exigence dont on comprend mieux aujourd’hui le fondement, lorsque le secrétaire au Trésor de l’époque reconnait que le manuel dont disposait pour son usage propre la Fed n’a pas alors été d’un grands secours, car la situation dépassait tout ce qui y avait été envisagé…
La grande nouveauté, dont on mesure toute la portée, consiste à suspendre provisoirement le débouclage des positions de produits dérivés des banques, afin d’éviter le fameux effet domino à propos duquel Ben Bernanke, l’ancien président de la Fed, avait dans un moment de franchise reconnu que l’on se savait pas comment le combattre. N’est-ce plus le cas ? On peut en douter, car l’objectif poursuivi par la réforme se résume à donner du temps au régulateur afin qu’il évite une faillite, par exemple en favorisant la recapitalisation de la banque, ou en y procédant, ou bien en créant une bad bank, méthode qui permet d’attendre des jours meilleurs dans l’espoir de leur venue…
D’expédient en expédient, le système financier ne donne pas d’excellents signes de bonne santé. A ses turpitudes, il n’est capable que d’opposer des palliatifs et se révèle incapable de s’amender. Pourquoi ? parce qu’il ne pourrait plus trouver les rendements qu’il recherche avec avidité. En témoigne la santé du shadow banking, lieu inviolé de tous les vices. Déjà, le système se trouve sous l’assistance des banques centrales et de leurs mesures non conventionnelles, dont il n’a pas montré à ce jour qu’il était prêt de gaité de cœur à s’en passer. Tout au contraire, ses acteurs attendent de la BCE qu’elle franchisse un nouveau pas – le dernier – et accélère la création monétaire, ce qui ne fera que le précipiter vers de nouveaux problèmes au prétexte de momentanément le soulager.
—————
(1) Bank of America, Bank of Tokyo-Mitsubishi, Barclays, BNP Paribas, Credit Agricole, Crédit Suisse, Citigroup, Deutsche Bank, Goldman Sachs, JPMorgan Chase, HSBC, Mizuho Financial Group, Morgan Stanley, Nomura, Royal Bank of Scotland (RBS), Société Générale, UBS, Sumitomo Mitsui.