Billet invité.
Que se passe-t-il donc dans ce monde financier qui a recommencé à prospérer et arrêté de faire parler de lui ? Ce silence est-il d’ailleurs un bon signe, la mare aux canards ayant continué à se remplir, les banques centrales ayant massivement déversé de nouvelles liquidités ? Le resserrement de la politique de la Fed, qui fait les manchettes, consiste seulement à fermer leur robinet, mais pas à commencer à les assécher.
Les conditions sont favorables, est-il largement admis, pour que de nouvelles bulles financières apparaissent, et de doctes débats agitent en conséquence le monde financier : « à quoi reconnait-on une bulle constituée », s’interrogent-ils , alors qu’elles prospèrent sous leur nez ! A partir de combien de cailloux fait-on un tas ? La régulation financière ayant laissé largement inviolé le paradis des produits structurés, doit-on s’en alarmer et prendre le risque d’être accusé de voir le mal partout, les mêmes causes produisant les mêmes effets ? Le retour de l’appétit au risque sur certains marchés à haut rendement – et à risque correspondant – serait-il vraiment, comme ce jargon semble l’indiquer, un bien annonciateur de la remise en marche de la machine, comme il en court l’idée ?
Qu’observe-t-on, pour ne pas s’en tenir aux idées générales ? Le secteur du crédit est à nouveau pointé du doigt aux États-Unis. Cette fois-ci à propos du crédit automobile, dont l’enveloppe est certes plus modeste que le crédit hypothécaire immobilier mais il est aussi pourvu d’un marché subprime. Les paris sont ouverts sur les conséquences qui en résulteront pour l’industrie financière, ainsi que pour l’industrie automobile dont les ventes ont été dopées par ce biais. En raison des bas rendements obligataires au sein du monde développé, liés au taux quasi nul de la Fed, d’autres secteurs qui connaissent une grande ferveur sont à surveiller de près, comme celui des prêts aux entreprises des pays émergents. Significativement, le niveau des Collateralized Loan Obligations (CLOs) construites avec des prêts à des entreprises faiblement notées a grimpé pour atteindre son plus haut niveau depuis les années 2006-2007. La mémoire s’efface quand le lucre rebondit.
Simultanément, le marché des obligation contingentes convertibles (CoCos) – autres instruments risqués à rendement intéressant – connait son essor en Europe, sous l’impulsion des banques qui cherchent ainsi à renforcer leurs fonds propres… en émettant de la dette ! Le rendement moyen va atteindre presque 6% cette année sur ce marché, faisant des CoCos un placement de choix et conduisant le FCA – le régulateur britannique – à interdire leur vente aux particuliers, pour être trop risqués pour des investisseurs qui ne sont pas avisés (ce qui signifie : qui pourraient se retourner contre les émetteurs). Et on ne parlera pas de la bulle boursière américaine et des valorisations faramineuses des entreprises cotées !
Heureusement, Zorro est arrivé en Europe ! Jamais à court de projets inaboutis car bloqués par de profondes divergences, les dirigeants européens poursuivent pour la troisième année consécutive leurs discussions à propos d’une taxe sur les transactions financières (TTF) officiellement destinée à avoir un effet dissuasif. Elle fait l’objet d’une « coopération renforcée », cette expression du jargon communautaire qui signifie que tout le monde ne s’y rallie pas. Ils sont onze pays seulement, le Royaume-Uni s’en étant naturellement exclu, à se chamailler sur deux sujets qualifiés de « techniques » par le ministre français Michel Sapin, pour faire croire à l’entente parfaite : l’assiette et le taux de la TTF. A part, cela, ils sont d’accord sur tout ! « Le premier pas sera modeste », reconnaît Wolfgang Schäuble, son homologue allemand, on n’en attendait pas tant.
Sur quoi repose la principale divergence ? Sur la taxation des produits dérivés, pour lesquels le ministre français propose de distinguer bonne et mauvaise finance, selon un schéma qu’il affectionne, afin de préserver les intérêts des banques françaises particulièrement actives sur ces marchés comme l’on sait. Il s’agit pour Michel Sapin de pénaliser les produits les plus risqués, sans donner la méthode permettant de les identifier que les financiers du monde entier rêveraient de connaître afin de combiner haut rendement et faible risque. Le dossier de la TTF sera bouclé d’ici à la fin de l’année, se sont-ils jurés à Milan en se séparant en fin de semaine dernière, affichant leurs premières bonnes résolutions de l’année prochaine.