Europe : ENCORE UNE PELLETÉE ? par François Leclerc

Billet invité

Mario Draghi persiste et signe, mais il ne parvient pas à faire adopter son point de vue : pas d’autre issue à la situation actuelle, martèle-t-il, qu’une action conjointe de la BCE et des gouvernements ! Et de voir grand, contrairement au plan limité mis au point par ces derniers sur le même sujet de la dynamisation du marché des ABS, afin de relancer le crédit bancaire aux entreprises. Ils ont tous les mains dans le cambouis.

« Nous sommes face à une configuration – croissance faible, inflation faible, dette et chômage élevés – qui ne peut être résolue que par une action concertée sur la demande et sur l’offre », a-t-il hier encore expliqué. Mettant les pieds dans le plat, il a abordé un autre sujet, celui de la relance de l’investissement en prenant le contre-pied des projets préparés par les autorités allemandes et françaises afin de conforter leur stratégie de communication. Celles-ci privilégient l’investissement privé, et le président de la BCE ne l’entend pas comme cela ! : « il pourrait être utile d’avoir une discussion sur une ligne budgétaire globale de la zone euro, avec pour objectif d’augmenter l’investissement public, là où il existe des marges budgétaires pour le faire ».

La BCE s’oppose ouvertement à la politique défendue par le moteur franco-allemand, qui marche sur trois pattes comme disent les mécanos quand une bougie est défaillante ! Heureusement, la réunion à venir samedi de l’Ecofin est informelle, c’est-à-dire qu’elle n’est pas appelée à trancher pour prendre des décisions…

Comme il est relevé par certains commentateurs, l’importance accordée aux modalités de cette relance laisse un peu pantois. Alors que le système bancaire baigne déjà dans une liquidité abondante (et qu’il parque à un taux négatif quelques 100 milliards d’euros de réserves en excès dans les coffres de la BCE), quel sens a l’élargissement des marges de manœuvre des banques qui ne donnent aucun signe d’en avoir besoin ? Faut-il voir dans la possibilité – sur laquelle Mario Draghi insiste – que des institutions publiques achètent les tranches risquées des ABS que les banques pourraient émettre une manière de permettre à celles-ci de se délester d’actifs de mauvaise qualité ? Après tout, la BCE est mieux placée que jamais pour évaluer les faiblesses des bilans bancaires, puisque c’est l’objet de l’un de ses programmes en cours, l’Asset Quality Review (l’évaluation de la qualité des actifs) et elle sait que l’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre… Pour relancer le marché des ABS, il faut en évacuer le risque, côté émetteurs (les banques) et investisseurs ! Comme la croyance qui prévalait avant la crise des subprimes – selon laquelle le risque était dilué et par conséquent inoffensif – il faut trouver quelqu’un pour prendre le Mistigri ! Si ce n’est pas la BCE, ce sont des institutions de crédit publiques. Si ce n’est ni l’un, ni l’autre, le programme ne marchera pas.

Faut-il comprendre que les Allemands et les Français le refusent, car ce serait mettre le doigt dans un engrenage dont les premiers ne veulent absolument pas (et les seconds suivent, en application d’une stratégie mûrement pensée) ? À savoir de faire un pas de plus en matière de création monétaire, tout en engageant une relance en fin de compte publique puisque effectuée par des institutions qui le sont : la BCE, la Banque européenne d’investissement (BEI), et les banques d’investissement nationales ?

La galerie est amusée avec l’histoire à suspens de la punition qui pourrait être infligée à la France pour déficit excessif, tandis que les divergences s’accentuent à propos des remèdes à apporter à la crise, qui s’approfondit. À ma gauche les idéologues de Berlin, à ma droite les pragmatiques de Francfort (à moins que ce ne soit le contraire !). N’est-il pas proprement atterrant de constater où en sont les dirigeants européens, alors que Mario Draghi avait concocté un plan d’action qui s’inscrivait non sans habilité dans une doxa qu’il défend – à bien y réfléchir – mieux que les autres ? Tentant de se faufiler dans l’écheveau de leurs contradictions, tout en remédiant à leur inaction ?

Le président de la BCE joue sans succès les francs-tireurs, rencontrant une opposition au sein du Conseil des gouverneurs et s’efforçant d’entraîner les gouvernements de la zone euro afin qu’ils infléchissent leur politique. Pour l’instant, c’est peine perdue. Christian Noyer, le président de la Banque de France, revendique une hardiesse qu’on ne lui connait pas en proposant de couper plus fortement dans la dépense budgétaire. Pourquoi n’a-t-il pas ajouté, pour faire bonne mesure, la diminution des revenus de l’État en abaissant les impôts confiscatoires ? Le garrot n’est pas assez serré ? Les programmes d’investissement échafaudés à Bruxelles sont d’un montant dérisoire par rapport aux enjeux, et le calcul de leur impact sur l’emploi est fait pour les besoins de la cause.

Encore une pelletée ?