Europe : OÙ EST LA PORTE DE SORTIE ? par François Leclerc

Billet invité.

La vérité est sans fard : plus le temps passe, moins la stratégie de relance choisie par les dirigeants européens fait ses preuves, et plus elle pose problème. Mais aussi plus le débat entre eux est serré, voire même impossible. Se voulant définitif, le ministre allemand des finances Wolfgang Schäuble, a fermé hier la porte à toute inflexion de celle-ci : « on ne peut pas acheter des emplois et de la croissance avec de l’argent public », a-t-il magistralement asséné devant le Bundestag, avant d’expliquer que la BCE avait fait tout ce qui fallait, pour signifier qu’elle ne devait pas aller au-delà.

Condamné à le suivre comme son ombre, le ministre français Michel Sapin l’a accompagné dans la conception d’un plan de dynamisation du marché des ABS. Présenté comme allant impulser l’investissement privé, il n’est pas à la hauteur des ambitions prêtées à la BCE, que Manuel Valls, le Premier ministre français, avait auparavant salué à Turin comme « une victoire de la gauche »… Les obstacles s’accumulent : la règlementation Solvency II des assurances devrait être modifiée, et il faudrait passer outre les objections exprimées en Allemagne. La taille réduite actuelle du marché des ABS rend en tout état de cause illusoire d’atteindre le volume d’achat de 800 milliards d’euros…

Comment la tendance pourrait-elle d’ailleurs s’inverser ? La promesse de croissance n’est pas crédible, tandis que les effets récessionnaires globaux de la politique en vigueur sont garantis. Au mieux, la stagnation et une pression déflationniste durables vont s’installer dans toute la zone euro. A court terme, l’impact des réformes structurelles est négatif et celui d’un taux de change plus favorable stimulant les exportations est limité, le modèle allemand n’étant pas reproductible. La relance censée provenir d’un investissement privé qu’il ne suffit pas d’invoquer sera du vent tant que la consommation ne reprendra pas et le chômage ne diminuera pas. Tout cela est connu, mais rien ne change.

En Allemagne – comme d’ailleurs aux États-Unis et au Japon – il est pourtant enregistré, ou souhaité, une augmentation des salaires. Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, évoque même à ce sujet une marge de progression de 3%. Bruxelles l’appuie, ainsi que Peter Praet, l’économiste en chef de la BCE, mais le patronat allemand annonce « des négociations difficiles ». En tout état de cause, un tel traitement de faveur reste inaccessible dans les pays européens sommés de retrouver leur compétitivité, qui ne devront leur salut que dans le strict respect de la discipline budgétaire est-il rabâché.

Les temps s’annoncent difficiles, et pour longtemps, si une porte de sortie n’est pas trouvée. La soutenabilité de la dette – qu’elle soit à dominante publique ou privée suivant les pays – est en question, si un relais de croissance n’est pas trouvé. Or ni le projet très flou de programme d’investissement du nouveau président de la Commission, ni le programme de soutien aux ABS de la BCE, même accouplés, ne seront en mesure de le fournir. S’inscrivant dans le cadre de fortes contraintes politiques, ces initiatives doivent limiter leurs ambitions et il ne peut être allé au bout de leur démarche. Où se trouve alors la sortie ?

Un programme d’achats d’obligations souveraines de la BCE ne la représente pas. Quel pourrait être son effet, les taux obligataires étant déjà à un niveau très faible ? La dépréciation de l’euro n’ayant que des effets potentiels limités sur les exportations en raison de la décélération mondiale ? Si la croissance n’est pas la solution, il ne reste plus qu’a procéder au désendettement, mais comment au vu de l’impasse actuelle ? Sur le papier, les solutions ne manquent pas, mais les appliquer est une autre affaire. Il a été un temps évoqué l’émission de dette perpétuelle – par définition jamais remboursée, mais assortie d’une rente permanente – mais sans lendemain. Restent deux seules issues : procéder à une restructuration de la dette publique, sous une forme ou sous une autre, ou que la BCE achète massivement de la dette et la conserve à son bilan sans limite de temps.

Les négociations qui vont finir par s’engager avec le gouvernement grec vont être l’occasion de franchir à nouveau le seuil de la première porte. Antonis Samaras, le premier ministre grec, n’a pas craint d’affirmer samedi dernier que la Grèce allait obtenir la « validation officielle » de la viabilité de sa dette, en omettant de préciser que cela résulterait d’un accord de restructuration portant sur son calendrier de remboursement et son taux qui reste à trouver. Tout, à condition de ne pas pratiquer une nouvelle décote dont la BCE serait cette fois-ci la principale victime…

Cette dernière a cependant gravi les premières marches d’un escalier et pourrait continuer. Après avoir acheté sur le second marché des obligations souveraines de pays à qui un coup de pouce devait être donné, la BCE devrait acquérir un gros volume d’ABS, à condition toutefois qu’ils soient émis. Or les banques ne sont pas en manque de liquidités et leur souci serait de se débarrasser en toute simplicité de leurs titres douteux… A défaut de relance, ce plan permettra peut-être de maintenir à flot des entreprises menacées.

Mais si d’aventure l’élan se confirmait, la marche suivante serait un nouvel achat massif, mais cette fois-ci d’obligations souveraines. Une fois au bilan de la BCE, à condition que ces achats soient suffisamment conséquents, la dette publique en circulation pourrait selon cette hypothèse d’école redevenir viable. On croit donc comprendre qu’il faut le briser sans attendre…

Il est peu vraisemblable que ce scénario soit appliqué, à moins d’une très forte détérioration de la situation bouleversant la donne. Même dans ce cas, l’hypothèse d’un éclatement de la zone euro ne peut être exclu, le gouvernement allemand pouvant préférer faire cavalier seul en s’appuyant sur son Hinterland de l’Est européen. Pour ne pas se trouver dans cette situation, il n’y a plus d’accompagnement, de demi-mesures et de jeux d’influence qui tiennent. Mais, bien que les biais s’épuisent, la fuite en avant se poursuit avec pour horizon le pire !

Les murs les plus infranchissables sont destinés à tomber, les tabous les plus solides à être renversés. Ce n’est pas seulement le sort de l’Europe qui est en question, mais celui du capitalisme financier : la dette n’est pas la solution, elle est le problème !