Billet invité
Après avoir fait les gros titres sur le thème « plus jamais cela », la régulation est désormais la grande oubliée d’une Europe ayant d’autres gros soucis. Les lobbies bancaires enterrent des mesures restant à l’étude et les États-Unis apparaissant à la pointe des réformes, tout étant relatif ! Les dirigeants européens ont d’autres réformes en tête, qui sont au contraire pro-business. Embourbés dans une politique ne produisant pas les effets annoncés, ils s’entêtent et pratiquent la fuite en avant. Jusqu’à quand ?
Lors de leur rendez-vous à Jackson Hole, les banquiers centraux n’étaient pas si à l’aise, faisant de leur pragmatisme une vertu, faute de posséder la recette permettant de revenir sans encombres sur leurs mesures d’assistance au système financier. C’est avec de multiples précautions que la Fed et la Banque d’Angleterre cherchent à relever leurs taux proches de zéro, grâce auxquels le crédit est quasi-gratuit pour les établissements financiers ayant accès à leurs guichets. Elles craignent les effets d’enchainement sur les taux du sevrage qu’elles voudraient administrer, avec comme choix d’assumer ce risque ou de voir des bulles d’actifs continuer à gonfler.
Plus généralement, la question est posée : le système financier est-il en mesure de se passer de l’assistance des banques centrales ? La ferveur que manifestent au sein de la zone euro les marchés à l’idée que la BCE pourrait à contretemps de ses consœurs démarrer la planche à billets montre que la réponse n’est pas évidente.
En attendant, la taille des bilans des banques centrales est démesurée, mais il n’est pas question qu’elles les réduisent en vendant sur le marché les actifs qu’elles détiennent. Les banquiers centraux n’ont jamais eu aussi peu de moyens pour régler une situation leur glissant lentement des mains. Élargissant leurs missions, ils en font autant de leurs responsabilités et prennent le risque de décevoir. En fait de bulles financières, c’est leur bulle de confiance qui pourrait en pâtir. Mais où irons-nous si, après avoir perdu le nord, leur boussole ne fonctionnant plus, ils en venaient à perdre les pédales ?
Il a déjà été relevé que, dans les circonstances inédites dans lesquelles nous nous trouvons, le retour à la normalité n’étant qu’un fantasme, on ne pouvait guère se fier aux indicateurs habituels. S’il n’est plus de circonstance de s’interroger sur la méthodologie du calcul de la croissance en ces temps où elle fait défaut, deux autres grands indicateurs ne se révèlent plus d’un grand secours : ceux du chômage et de l’inflation. En raison de ses biais, le taux d’emploi est désormais considéré comme plus pertinent que celui du chômage par la présidente de la Fed, qui a fait école au Royaume-Uni. Le taux d’inflation suscite plus d’interrogations qu’il n’alimente de certitudes, car de quoi parle-t-on ? De l’inflation des actifs financiers ou de celle des prix des produits et des services ? De l’inflation en général ou de l’inflation sous-jacente qui exclue les matières premières alimentaires – trop volatiles – et l’énergie, souvent réglementée ou soumise aux caprices de la spéculation ? Pour ne pas oublier l’inflation importée qui comme son nom l’indique résulte du prix des produits et services importés…
Devant être soupesés, ces taux ne sont plus les points de repère qu’ils étaient. D’autres ratios dont on a beaucoup parlé, qui régentent les fonds propres et les liquidités que doivent détenir une banque, ne sont plus considérés comme des garanties en béton. La réglementation du Comité de Bâle, cette émanation des banques centrales, serait-elle dépassée alors qu’elle va seulement entrer en application ? De sérieuses réserves sont apparues dans les milieux autorisés à propos de taux prenant en compte des calculs de risque sujets à caution. D’ailleurs, si la réglementation Bâle III était si convaincante, pourquoi instituer des deux côtés de l’Atlantique des stress tests afin de s’assurer que les banques tiendront le choc en cas de crise ? Il ne s’agit sans doute que de rétablir la confiance…
Il n’est pas possible, sauf à affronter un séisme, de reconnaître que le calcul du risque est devenu impossible à force de complexité des produits financiers. Il est donc nécessaire de s’en remettre à nouveau à des agences de notation délivrant des bulletins de santé, en dépit de leurs écarts de conduite passés. L’un des principaux régulateurs américain, la Securities and Exchange Commission (SEC), a adopté hier une quinzaine de règles de fonctionnement et de contrôle des agences afin de « protéger les investisseurs et les marchés de la répétition de conduites et de pratiques qui ont été au centre de la crise financière », est-il expliqué. Mais l’essentiel n’est pas atteint : les agences continueront d’être rétribuées par les entités qu’elles notent et elles ne pourront être tenues pour responsables si elles induisent les investisseurs en erreur. Car ceux-ci sont supposés être « avisés », selon cette dernière ligne de défense en justice des banques qui trompent leurs clients…
La régulation n’étant parvenue qu’à consolider le système sans mettre en cause les raisons de son instabilité structurelle et chronique, il ne reste plus qu’à attendre, là encore…