Billet invité.
Des constats incontournables aux conséquences lourdes se multiplient, avec comme caractéristique commune d’être ignorés car dérangeants. Qu’il ne soit pas possible d’y échapper, dans certain cas, reste pour autant sans effet ; dans d’autres, le déni est un substitut tout trouvé à une réflexion qui pourtant s’imposerait. On peut citer les contraintes environnementales pour le premier cas, et pèle-mêle le caractère parasitaire affirmé de l’activité financière, l’épuisement du concept même de croissance, l’accroissement des inégalités sociales, ou bien la raréfaction potentielle du travail pour l’autre.
L’époque est aux interrogations et non pas aux certitudes, surtout lorsqu’elles sont navrantes et alimentent un conformisme médiocre afin de défendre les avantages acquis des nantis. Une crispation politique conservatrice se cristallise, avec pour objectif de les fortifier et comme résultat de les amplifier. Ni l’imagination, ni l’audace ne sont au rendez-vous dans ce monde-là, où toutes les issues sont fermées quand il faudrait au contraire laisser entrer les vents du changement et se laisser porter par eux.
D’une manière ou d’une autre, cela ne pourra pas durer ainsi. En se penchant pour mieux observer les évolutions de nos sociétés, ne constate-t-on pas que deux modèles y coexistent ? L’un, dominant, exprime la continuité et sent le renfermé, l’autre illustre des tentatives libératrices de s’en évader. D’un côté, il est asséné une double peine en appliquant pour sortir de la crise les recettes qui l’ont précipitée, tandis que de l’autre s’affirment, sans attendre d’hypothétiques lendemains qui chantent, des solidarités et des modes de vie ayant pour vocation de préfigurer un changement radical et à peine pensable. Mais la contestation reste marginale, les remises en cause nécessaires à la formulation du renouveau représentant par leur ampleur un défi difficile à relever. Quoi qu’il en soit, l’utopie a changé de camp, quittant celui des rêveurs pour rejoindre celui des rétrogrades, car il n’est pas réaliste de croire que tout va redevenir comme avant : une platitude de plus.
Ni la révolte, ni la résignation ne prévalent, si le rejet est omniprésent. Le monde d’en-bas subit celui d’en-haut, s’en accommodant tant qu’il ne dépasse pas certaines bornes. Les marges de manœuvre de ceux qui sont aux commandes sont pourtant plus étroites qu’il est communément ressenti, car la dynamique de la crise reste puissante et les laisse sans autre issue que de temporiser. Rien n’est réglé au plan financier, une stabilisation apparente pouvant faire croire au contraire. La dette globale est insoutenable, menaçant son statut d’actif sans risque nécessaire à l’équilibre financier quand elle est publique ; l’économie ne peut renouer avec la croissance tandis que le volume des actifs financiers – qui en dernière instance reposent sur elle – augmente bien plus rapidement. Cette dernière contradiction est explosive et les ersatz de régulation financière ne peuvent y remédier.
Progressivement, la crise est devenue globale, tout à la fois économique, sociale et politique, à l’image d’un système oligarchique de pouvoir mélangeant les genres et toujours abrité derrière une démocratie représentative de plus en plus de façade, dont les fondements sont rognés faute d’atteindre sa dimension économique. De quoi ce pouvoir sera-t-il capable ? jusqu’où pourra-t-il aller ? Les leviers disparates d’un contrôle social envahissant et de nature dictatoriale s’accentuent, ou sont dévoilés dans leur dimension jusque là insoupçonnée, les amortisseurs traditionnels des crises économiques souffrent progressivement d’un mal de financement, l’État providence ne parvenant plus à tenir son rang. Quelles conséquences politiques ce cocktail malséant aura-t-il dans le vide ambiant ? C’est dans l’immédiat la principale question, même si le pire n’est jamais sûr.