Billet invité.
Contrairement à ce qui était avancé par le journal portugais « i » et répercuté par nos soins, c’était bien avec sa casquette de représentant de l’actionnaire Crédit Agricole que Xavier Musca a opéré entre le 21 et le 26 mai les quatre ventes de titres successives de la BES, dont il est administrateur, avant qu’il ne soit décidé de ne pas suivre son augmentation de capital de juin dernier. Plus de six longues semaines auront toutefois été nécessaires pour venir à bout d’une « panne technique de transmission », selon les termes du démenti qui nous été opposé, au terme desquelles la BES (et non le Crédit Agricole comme affirmé par le démenti) aura pu remplir avec un grand retard ses obligations d’information du marché via la CMVM portugaise, l’autorité des marchés. Pour mémoire, le dimanche 3 août avant l’ouverture de ceux-ci, la Banque du Portugal informait de la restructuration de la BES (et de son effondrement), après avoir auparavant assuré de sa solidité. La providentielle panne technique a pu éviter de perturber l’augmentation de capital de la BES de juin, car les transactions auraient dû être rendues publiques lorsqu’elle est intervenue, conduisant des investisseurs à y participer pour perdre leur mise depuis. C’est en tout cas ce que la séquence des évènements pourrait suggérer.
La Banque du Portugal a entretemps engagé plusieurs enquêtes et se refuse à tout commentaire à propos de celles-ci. Mais le Wall Street Journal multiplie les révélations. Eurofin, une petite structure de gestion du patrimoine suisse, aurait ainsi que le Crédit Suisse joué un rôle important dans la gestion financière souterraine du groupe Espirito Santo, impliquant également la BES. Eurofin avait été mise sur pied il y a une quinzaine d’années afin de traiter les opérations financières de la famille et des entreprises qu’elle contrôlait et a depuis élargi ses activités (notamment en Angola). Avec mission à son démarrage d’acheter les titres émis par les sociétés du groupe et de les repackager afin d’être revendus à des clients particuliers de la BES via son réseau d’agences, réalisant une opération de camouflage assimilée depuis à de la fraude par la Banque du Portugal et contribuant à l’opacité des comptes du groupe. Rappelons que Ricardo Salgado a été depuis la restructuration de la BES placé en garde en vue dans le cadre d’une enquête pour blanchiment d’argent, puis libéré sous contrôle judiciaire avec interdiction de sortir du Portugal moyennant payement d’une caution de trois millions d’euros, qu’il a réglée.
Le Wall Street Journal a également identifié deux fonds enregistrés dans les Iles Vierges, un paradis fiscal – EG Premium et Zyrcan – qui effectuaient régulièrement des transactions entre eux ainsi qu’avec des structures du groupe Espirito Santo, ne contribuant toujours pas à la transparence des opérations et à la clarté de la situation financière du groupe. Toujours selon la même enquête qui se poursuit, on retrouve impliquée EG Premium dans les opérations de packaging de titres du groupe réalisées par le Crédit Suisse, toujours afin de les vendre aux clients de la BES. Trois autres véhicules offshore y ont contribué, Top Renda, EuroAforro Investments et Poupanca Plus Investments, tous basés à Jersey. Le Journal n’a trouvé personne pour commenter ces informations, que ce soit au Crédit Suisse ou au sein du groupe Espirito Santo. Eurofin a depuis démenti toute implication dans le financement du groupe Espirito Santo et le Crédit Suisse mène une enquête interne.
Toute une structure était donc chargée d’assurer discrètement le financement du groupe en vendant la dette émise par ses différentes entités à la clientèle de la BES. Cela ne date pas d’hier et était connu par la Banque du Portugal, qui avait demandé cette année à ce que la BES limite son exposition au groupe, ce qui n’avait pas été suivi d’effet.
Non sans retard, Novo Banco – la bonne banque qui a récupéré les dépôts et certains actifs de la BES – a annoncé « être déterminée à racheter aux clients de la BES » les titres de dette du groupe ayant été acquis avant le 14 février dernier, sans s’avancer sur un calendrier et des modalités, qui continue à être discutés avec le Banque du Portugal. Cela ne semble concerner que les clients particuliers et non pas les institutionnels, à confirmer en raison de la confusion qui continue de régner. Au 30 juin, 3,1 milliards d’euros de titres de la dette du groupe auraient été souscrits par des clients de la BES, dont 1,1 milliard par des particuliers.
Conséquence de cette décision destinée à couper court à une avalanche de procès, la barque de Novo Banco se trouve lourdement chargée, ayant déjà hérité de la dette de sa filiale angolaise. Sa future vente, ainsi que le montant de celle-ci, ne pourront pas l’ignorer : l’État, via le fonds de restructuration dont il a fait le propriétaire de Novo Banco, pourrait se retrouver collé à celle-ci, confirmant alors qu’il s’est agi d’une nationalisation déguisée…
Pour revenir sur le sujet, on peut également s’interroger sur ce que savait le Crédit Agricole, lié par un pacte d’actionnaire à Espirito Santo Financial Group (ESFG), le premier actionnaire de la BES, au sein de leur société commune Bespa. À ce propos, Xavier Musca était bien un administrateur de celle-ci avant sa dissolution, contrairement à la première version du démenti du Crédit agricole qui nous a été opposé et qui a été modifiée ultérieurement sur ce point. La dernière période, pendant laquelle 0,9% des titres de la BES ont été vendus par le Crédit agricole, ne pourrait-elle pas être qualifiée de « période suspecte » par les autorités portugaises ? Le Crédit agricole, partenaire historique du groupe depuis qu’il l’a aidé à retrouver le contrôle de celui-ci suite aux nationalisations du lendemain de la Révolution portugaise de 1974, pouvait-il ignorer les montages financiers qui l’ont aidé à rester à flot, sur lesquels les autorités auront à se prononcer ? Sa responsabilité ne pourrait-elle pas se trouver engagée en raison de sa participation à la Bespa ?