Billet invité.
La continuation et la rigidité se sont imposés lors du dernier sommet européen, la tentative d’assouplissement de la politique emmenée par Matteo Renzi a fait long feu et l’occasion a été ratée, mais son évolution restant une exigence laissée sans réponse, l’affaire va rebondir.
La raison en est incontournable : le pacte de stabilité plonge une partie de l’Europe dans la déflation et met l’autre partie sous forte pression déflationniste, et l’ensemble dans une longue période de croissance atone en dépit de projets de relance limités faute de financements. Le désendettement en sort contrarié et non pas facilité. En son sein, les disparités ne prennent pas le chemin d’être résorbées et la ligne de plus grande pente glissante prévaut. La crise est également devenue chronique dans ses dimensions sociale et politique, et il ne peut être attendu les miracles espérés de la BCE, pour des raisons qui vont au-delà des blocages politiques car ses instruments monétaires n’en sont pas les moyens appropriés. En l’appelant à acheter des actifs sur le marché afin de faire baisser le taux de l’euro et de développer les exportations, le premier ministre français Manuel Valls illustre l’impasse dans laquelle son gouvernement s’est de lui-même engagé, une fois les ardeurs intempestives de Matteo Renzi calmées par François Hollande.
La journée d’hier offrait un drôle de spectacle : tandis que Matteo Renzi poursuivait ses envolées devant le Parlement européen de Strasbourg, en polémiquant à nouveau avec les représentants allemands faute de pouvoir passer à l’acte, le gouvernement de Berlin adoptait un budget à l’équilibre présenté à tous comme exemple de vertu tout en n’étant pas reproductible. Pourtant, si les règles budgétaires sont en façade hypocritement réaffirmées comme devant être respectées par tous les gouvernements, leur cadre est d’une manière ou d’une autre voué à éclater, la question étant quand et comment.
Si aucun évènement en ce sens n’intervient avant, une nouvelle fenêtre de tir va s’ouvrir en 2015 à l’occasion des élections espagnole, grecque et portugaise. Elles pourraient renforcer le camp de ceux qui veulent faire évoluer les gouvernements et accroitre la pression en faveur d’un aggiornamento. Mais sans pour autant définir une politique alternative, ce qui en marque par avance les limites. Dans ces trois pays, les situations sont confuses et les résultats électoraux incertains et les équipes au pouvoir mettent un peu d’eau dans leur vin afin de s’y accrocher. Quand ce n’est pas à leur initiative, c’est sous les injonctions de tribunaux qui annulent des coupes budgétaires, comme c’est le cas en Grèce et au Portugal. Le retour des socialistes est probable dans ce dernier pays, l’inconnue étant le nom du leader qui va émerger, le maire de Lisbonne Antonio Costa sur lequel des espoirs sont fondés pouvant l’emporter. Un changement de direction est en cours au PSOE en Espagne, où le schéma portugais de l’alternance est par contre loin d’être acquis, et le premier ministre Antonis Samaras tente d’éviter un nouveau plan de sauvetage en Grèce, son parti Nouvelle Démocratie talonné par Syriza.
Pour autant, les pistes envisagées ne mènent pas loin. Elles consistent à jouer sur la parité de l’euro par rapport au dollar, en demandant à la BCE d’intervenir, ou bien à financer tant bien que mal un programme européen d’investissements en y associant des capitaux privés. Dans les deux cas, c’est faire de nécessité vertu, car il ne peut pas en être attendu une substantielle contribution à la relance aboutissant à modifier la donne. Il est vrai qu’une politique de réformes doit être menée, mais ce ne sont pas celles qui sont préconisées !
La politique actuelle repose sur la combinaison de deux idées-forces (si l’on peut dire) : il faut libérer la croissance de ses entraves – en premier lieu sur le marché du travail – et réduire sans pitié la dette publique. La première s’inscrit dans une vision dogmatique de l’économie, et on hésite entre l’image du culbuto qui se redresse toujours et celle du bouchon qui remonte immanquablement à la surface pour illustrer sa profonde sagacité. La seconde résulte de la protection prioritaire du système financier, dont il est attendu qu’il soit le levier de la renaissance, en vertu des mêmes croyances. Car sa stabilité repose sur une dette publique qui doit redevenir à risque zéro si l’on veut qu’elle remplisse sa fonction et que tout redevienne comme avant. Ce qui explique le tabou dont est frappé toute restructuration, ainsi que les inquiétudes devant l’épisode argentin en cours, émises par ceux qui comprennent qu’il devra être un jour ou l’autre levé et qu’il n’est pas opportun de rajouter un obstacle.
De la restructuration de la dette souveraine à la reconfiguration du système financier – les deux grandes réformes qui devraient être lancées – il n’y a qu’un pas, raison majeure de ne pas faire le premier, croit-on comprendre ! Nœud restant toujours à trancher, l’interdépendance entre la dette souveraine et la dette privée renvoie à la faiblesse des fonds propres d’un système bancaire européen trop vite poussé en graine dans un contexte de concurrence internationale où il était vital de croître pour exister au firmament. L’hypertrophie financière est en dernière instance la cause de la perpétuation de la crise, ce à quoi il faudrait s’atteler.
En annonçant être prête à intervenir sur le marché obligataire pour le calmer, non sans résultats, la BCE a signifié au marché qu’elle était prête à jouer la bad bank jusqu’au bout. Mais cette initiative a été un succédané de restructuration, son avenir n’étant pas garanti. D’autant que la BCE se refuse à une restructuration de la dette grecque, qui l’atteindrait au premier chef et imposerait sa recapitalisation par ses actionnaires, les banques centrales nationales, c’est-à-dire par les États. Les intentions sont une chose, leur mise en oeuvre une autre !
Ainsi qu’une étude du think tank bruxellois Bruegel vient de le montrer chiffres à l’appui, le désendettement de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal dépend pour chaque pays de la réunion de trois paramètres fragiles : le montant de l’excédent budgétaire, le taux de croissance et le taux obligataire. De faibles variations peuvent vite y faire obstacle, ne laissant alors d’autre véritable issue que la décote de la dette. Plutôt que s’y résoudre, rallonger le calendrier de remboursement permettra de gagner du temps.
Tant que le programme de réformes continuera de s’inscrire dans le moule actuel – comme Matteo Renzi et François Hollande s’en réclament – l’assouplissement du cadre ne pourra résulter que d’un mixte relance/allongement du calendrier du désendettement avec de timides résultats. Une décennie qualifiée de perdue sera-t-elle à ce rythme suffisante pour maitriser la dette publique et redonner au système financier son assise ? Celui-ci ne risque-t-il pas entre-temps de déraper en raison du retour au risque alimenté par les banques centrales, qui tout en lui tendant une main secourable l’incitent à l’erreur ? Les crises sociales et politiques accorderont-elles un tel répit ?
À chaque jour suffit sa peine.