L’ALLOCATION DU CAPITAL EN QUESTION, par François Leclerc

Billet invité.

Se rejoignant dans une commune appréciation de la situation, la Banque des règlements internationaux (BRI) et l’Autorité bancaire européenne (EBA) mettent en garde devant les risques d’instabilité financière. Dans son rapport annuel, la première remarque qu’en dépit du calme apparent il existe des signes d’un « retournement douloureux et très destructif », et constate qu’il est « difficile de ne pas ressentir un déconcertant décalage entre l’abondance qui prévaut sur les marchés et les développements économiques sous-jacents à l’échelle mondiale », que la seconde caractérise comme « une dislocation entre les marchés financiers et l’économie réelle ».

Apportant un éclairage européen dans son domaine, l’EBA remarque que les banques de la région n’atteignant que 4% de retour sur leurs capitaux propres (RoE) et sont particulièrement vulnérables dans un contexte de faible croissance et de poursuite du désendettement représentent 39% du volume d’actifs du système bancaire de la région. C’est le résultat direct de la politique poursuivie.

Il est frappant d’enregistrer qu’en dépit de la menace dont elle s’alarme la BRI préconise la normalisation de la politique monétaire des banques centrales, ignorant les vives réactions qu’a suscité la décélération des achats d’actifs de la Fed (tapering) à ses débuts. On peut en effet s’interroger sur la capacité des banques centrales à revenir à une norme qui appartient au passé, les marchés manifestant une incontestable addiction à la disponibilité de liquidités à un taux proche de zéro qui semble être nécessaire au maintien de leur équilibre, les conduisant à la fuite en avant. Que la politique monétaire actuelle soit maintenue ou qu’elle soit revue, des risques d’instabilité accrus pour le système financier en résultent dans les deux cas.

Constater que « les liquidités ne redescendent pas dans l’économie » est devenu une banalité ayant pour conséquence une baisse du crédit. Cette allocation des capitaux voulue par le marché est pourtant déstabilisatrice pour le système financier et préjudiciable à la relance économique. Comme si, ne pouvant plus parasiter une économie trop sollicitée, ce système avait besoin d’un substitut fourni à satiété par les banques centrales. Quant au modèle qui faisait de l’endettement le moteur de la croissance à l’apogée du capitalisme financier, il ne redémarre pas et rien n’est disponible pour le remplacer.

Les derniers chiffres de la BCE de l’allocation du crédit en zone euro font à nouveau état de son recul, résultat de deux phénomènes conjoints : une faiblesse de la demande côté entreprises – dans un contexte d’austérité pesant sur la consommation – ainsi que la poursuite du désendettement des banques de l’autre, assortie du rétrécissement de leur bilan. Dans ce contexte, la relance ne peut donc résulter que d’un investissement public étranglé par le pacte de stabilité.

Le dernier sommet européen a bien évoqué au détour d’une page un « agenda stratégique à cinq ans » qui n’est qu’un plan sur la comète; car il n’est pas financé. La nouvelle Commission devra y pourvoir, mais comment ? Même réaménagées, ses disponibilités budgétaires seront en effet loin de répondre aux besoins, et pour le mettre en musique de nouvelles sources de financement seront nécessaires. Mais comment y parvenir sans transgresser la politique actuelle ? Il faudrait mettre au point des partenariats public-privé – dont on connait les dérives – et aller néanmoins chercher des capitaux sur le marché pour la part publique. Ce qui impliquerait de procéder par émissions d’obligations représentant sous une forme ou sous une mutualisation de la dette toujours proscrite. C’est le sens du bricolage présenté par François Hollande.

Cet agenda va se révéler à la petite semaine, les précédents ne manquant pas de ce type d’annonces ronflantes s’essoufflant après avoir été mal dotées. Le marché obligataire toujours détendu, le blocage est résolument politique. Il vise à imposer le programme de réformes structurelles d’inspiration étroitement néolibérales dont aucun gouvernement ne renie la nécessité, social-démocrate ou pas. C’est l’application de la théorie du culbuto qui veut qu’il se redresse toujours à condition de le libérer de ce qui l’entrave.