Sur le mode du changement : PUSILLANIMITÉ ET LÉGÈRETÉ, par François Leclerc

Billet invité

Au train où vont les choses, les années passant, les autorités qui sont aux commandes ne sont pas prêtes à reprendre l’initiative sur le déroulement des opérations, alors que la faible volatilité qui est constatée sur les marchés est source d’inquiétude grandissante, comparée au calme qui précède la tempête. Sans savoir d’où viendra le prochain coup de tabac et quand il interviendra. Une incertitude qui résume l’opacité et la complexité d’un système financier en permanence proche du dérapage incontrôlé.

Seules quelques tentatives voient à peine le jour afin de prendre en compte ce qui s’observe comme le nez au milieu de la figure en Europe où c’est le plus flagrant : la voie empruntée n’est pas la bonne ! Plus réalistes, mais aussi aventuristes, d’autres persévèrent en ne poursuivant qu’un seul objectif : recommencer comme avant, en mieux naturellement !

Ne disposant jusqu’à maintenant que de deux options – aider sous conditions un pays si sa dette est soutenable, ou préconiser sa radicale restructuration dans le cas contraire – le FMI explore actuellement une troisième voie : donner du temps au pays pour la rembourser en allongeant sa maturité. Cette réflexion est issue en droite ligne de la situation grecque et du refus des autorités européennes de pratiquer une remise de peine en bonne et due forme, alors que depuis des mois le FMI la proclame inévitable. Ne pouvant l’obtenir, cette nouvelle politique pourrait, une fois adoptée, donner un peu de souplesse à un désendettement des États qui coince irrémédiablement, en application du vieux principe selon lequel quand on ne sait pas quoi faire, il faut gagner du temps. Elle pourrait être ultérieurement utilisée avec d’autres pays, les candidats ne manquant pas. Le dos au mur, il n’est toutefois toujours pas question d’admettre qu’il faudra en passer par plus radical !

Du temps, c’est aussi ce que propose d’accorder le vice-chancelier allemand, ministre de l’économie et dirigeant du SPD. Tout en réaffirmant sa foi inébranlable dans le traité fiscal, Sigmar Gabriel a proposé hier de modifier le calcul du déficit public en excluant de celui-ci les coûts occasionnés par les mesures de réforme (ce qui donnerait une marge d’appréciation à débattre). Une proposition déjà formulée par Matteo Renzi, le président du conseil italien. « Pour ceux qui sont décidés à réaliser ces réformes, il faut leur donner du temps » a-t-il commenté, confirmant la priorité accordée à ces dernières par rapport au rythme de désendettement, prenant acte de situations française et italienne destinées à rester hors cadre. Rejoignant des observations similaires de l’autre côté des Alpes, la Cour des comptes française vient de faire remarquer que sur les 50 milliards de réduction de la dépense publique annoncés par le gouvernement, 30 milliards étaient « peu documentés »…

L’agence Bloomberg croit savoir que les gouvernements de ces deux pays se prépareraient à reprendre la balle au bond en formalisant une proposition en ce sens à Bruxelles. Ce ne serait que le début de longues négociations menées à propos des engagements requis en contrepartie. Pour mémoire, Reza Moghadam, le directeur pour l’Europe du FMI, avait préconisé une autre approche en suggérant de privilégier comme critère le rapport entre la dette et le PIB (et non plus le taux du déficit). Mais comment pourrait-il être suivi, car cette proposition reviendrait à pratiquement mettre en cause la politique associant austérité et réformes ?

Tout à sa vision, le gouverneur de la Banque d’Angleterre voit plus loin encore. Mark Carney se prépare à élargir la mission de son établissement en accordant l’accès à ses guichets au shadow banking, dont il revendique le rôle positif. Les grands courtiers de la place de Londres (comme le sont Goldman Sachs et JP Morgan) ainsi que les chambres de compensation – amenées à un jouer un rôle d’intermédiation accru au détriment des banques – pourraient en bénéficier, sur le mode utilisé par la Fed au coeur de la crise lorsqu’elle avait improvisé en ouvrant ses guichets aux fonds monétaires et aux assurances. Mais cette fois-ci, l’ouverture serait formalisée. Mark Carney avait déjà élargi la liste des actifs éligibles apportés en garantie par les emprunteurs et complète son dispositif, avec pour objectif que le shadow banking, devenu plus résistant grâce aux dispositions déjà prises, puisse contribuer à la croissance mondiale, une fois adoptées les réformes permettant le redémarrage de la titrisation (et de la machine à produire de la dette). Tout est dit de la vision du gouverneur : « en avant, comme avant ! » Est-ce bien raisonnable quand l’échafaudage donne des signes de faiblesse ?