Billet invité.
À en croire certains, il serait urgent de dissoudre le corps électoral, les électeurs s’étant fourvoyés. Le populisme aurait frappé sous le masque hideux de l’europhobie, et les partis responsables en feraient les frais. Tout cela résulterait d’un malentendu auquel il faudrait remédier par un effort d’explication (une communication plus efficace).
Cette histoire n’endort que ceux qui sont déjà assoupis, bercés par un discours lénifiant. En vérité, une politique dont le naufrage se poursuit est rejetée, parfois au profit de ce qui tombe sous la main, et ceux qui l’appliquent ne veulent pas en changer. De simple déni au départ, c’est devenu un déni de la démocratie : les manifestations et protestations massives dans les pays du Sud n’ont été suivies d’aucun effet, et la démonstration est en cours qu’il en sera de même avec les élections. Quel sera le prochain épisode ? Il y a de la rébellion dans l’air.
Amuser le tapis avec la désignation du président de la Commission est de la même veine, après avoir abusivement présenté sa nomination comme le résultat direct de l’élection des députés européens. On suit depuis les péripéties de ce qu’il en est. Comme la campagne électorale l’a montré, il n’y a plus de débat politique possible puisqu’il n’y a pas d’alternative admissible. Seuls subsistent des lambeaux de communication et des petites phrases prononcées sur les matinales des radios. Dorénavant, les chèques sont tirés en blanc et il faut les signer. Que l’on ne s’étonne pas, dans ces conditions, des choix des électeurs !
Ceux-ci ne votent pas comme il faut, beaucoup d’entre eux accordant leur suffrage à des formations ne répondant pas aux canons de la beauté et pratiquant l’imprécation pour ratisser large. Exprimant un vote qualifié à juste titre de désespérance par un syndicaliste français, ce qui les conduit à massivement voter pour le Front National en France et l’UKIP en Grande-Bretagne. Les cartes sont effectivement brouillées quand, en France, les électeurs de gauche traditionnels ne peuvent pas se reconnaître dans la politique de celui qu’ils ont élu pour – déjà – rejeter le précédent, mais à qui la faute ? Partout, les partis de gouvernement payent le prix de leur politique, encore au pouvoir ou aspirant à y revenir, conduisant les électeurs à chercher ailleurs afin au moins d’exprimer leur protestation. Avec un résultat très inégal selon les pays.
L’émergence de Syriza en Grèce et du Mouvement des cinq étoiles en Italie avait déjà illustré, chacun à sa façon, la mutation électorale durable qui se poursuit. Profitant de cette nouvelle occasion, Podemos est inopinément apparu en Espagne avec 7,9% des voix, ainsi que le Parti de la Terre au Portugal (MPT) avec 7,15% des suffrages exprimés. Le premier dans la continuation du mouvement des indignés, prématurément enterré, le second surgissant sur la base d’une virulente campagne anti-corruption et de la dénonciation des complaisances de la justice, sans relents xénophobes ou europhobes.
Certes, ces dernières formations ne sont pas sans parfois susciter des questions : Syriza est confronté aux choix d’un futur parti de gouvernement, tandis que Beppe Grillo démontre une nouvelle fois ses profondes ambiguïtés en discutant avec le leader xénophobe et europhobe de l’UKIP Nigel Farage, suscitant de vives réactions dans le Mouvement des cinq étoiles. Mais cela justifie-t-il d’oublier ce qu’avant tout elles ont représenté aux yeux de ceux qui leur ont accordé leur suffrage ? Faut-il s’en tenir à faire la fine bouche ?
Nées dans des contextes très différents et obéissant à leurs logiques propres, ces formations ont en commun d’avoir cristallisé un rejet grandissant. Dans leur hétérogénéité, elles constituent un pôle politique européen contestataire et informel. Mais elles laissent une question en suspens : par quelles voies pourrait être mise au point, par étapes, une plate-forme énumérant les mesures-phare qui concrétiseraient une alternative politique européenne ?