Billet invité.
Agitant l’épouvantail du populisme et des eurosceptiques, de nombreux commentateurs politiques enfoncent un même clou tordu. Ils réussissent l’exploit de présenter un rejet de la politique européenne comme un débat sur l’Europe, ce qu’il n’est que par défaut. Les chefs d’État et de gouvernement se réunissent aujourd’hui à Bruxelles mais ils ne semblent pas davantage prêts à dissiper une confusion leur convenant, reprenant à leur compte une grille d’analyse qui les exonère de toute responsabilité.
« Il s’agit de reconquérir les électeurs » perdus pour la cause, déclare Angela Merkel, sans donner le moindre signe qu’elle est prête à revoir la politique qu’elle personnifie. A son habitude, François Hollande brouille les pistes, décrivant une Europe « illisible, lointaine et incompréhensible » et devant « se retirer là où elle n’est pas nécessaire », tout en réaffirmant une feuille de route qui ne peut être modifiée au gré de ce qu’il qualifie de « circonstances ». Du côté de David Cameron, l’heure est au détricotage. Seul Matteo Renzi annonce « il est temps de changer de politique » et tente de se faufiler pour le mettre en pratique en Italie, fort de son succès électoral. L’Europe est devenue une auberge espagnole, chacun en ayant une conception différente, et le spectacle va continuer avec la nomination des présidents de la Commission et du Conseil des gouverneurs.
En sourdine, les dirigeants européens fondent toujours leurs espoirs mal-placés dans l’intervention de la BCE, contredits par le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, qui tout en plaidant pour des mesures non identifiées « pour accélérer la reprise » déclare que « si l’interprétation de ces élections conduisait à rechercher des solutions faciles, nous serions revenus d’ici deux ans dans une situation de crise aiguë », avertissant enfin qu’« il n’y a pas de raccourci ». Mario Draghi continue pour sa part d’occuper le terrain en attendant la réunion de la BCE de la semaine prochaine, conduisant Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, à s’inquiéter d’une politique monétaire trop accommodante qui freine les efforts de réforme européens.
Sans que cela soit vraiment surprenant, les dirigeants européens se préparent à reculer, cela sera encore une fois pour mieux sauter. S’ils ne veulent pas prendre en compte le vote des électeurs, ils vont se retrouver devant les effets imprévus de leur politique dans les pays qu’ils ont assistés et les difficultés grandissantes de sa stricte application dans ceux qui ne l’ont pas été. Les marges se rétrécissent et c’est en faisant des erreurs que l’on apprend !
En attendant, au nom de préceptes sans prise avec la réalité, ils amplifient les transferts financiers et accroissent les inégalités, le seul résultat tangible dont ils peuvent en réalité se prévaloir. Les investisseurs manifestent un grand appétit au risque en optimisant le rendement de leurs placements, les autorités politiques répondent à la même demande en usant de leurs prérogatives. Tout va pour le mieux dans le pire des mondes, mais jusqu’à quand ?