Billet invité.
Cela cogite ferme pour préparer une suite aux élections du Parlement européen et à la désignation du nouveau président de la Commission. La page qui va être tournée va donner l’occasion, espère-t-on, d’engager une nouvelle étape de la construction européenne et permettre conjointement la mise sur pied d’un plan A’ de désendettement, car il ne pourra pas être ignoré longtemps que l’actuel coince. Une chose a été de traiter avec la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne, une toute autre affaire se présente avec l’Italie et la France, dont la trajectoire ne s’inscrira pas dans le cadre prescrit.
L’heure est au bilan, et il n’est pas brillant. Le calme du marché obligataire est fragile et l’euphorie des marchés signe d’inquiétude. Les dettes publiques et privées sont toujours aussi étroitement liées entre elles et la BCE ainsi que les banques centrales nationales regroupées dans l’Eurosystème ont accueilli d’importantes quantités de créances obligataires, leur faisant supporter le risque de défauts. La politique de prêts conditionnels a eu pour effet de plonger la zone euro dans une quasi déflation et stagnation, et l’endettement public s’est accru, le désendettement restant dans ces conditions une vue de l’esprit. Enfin, si le parapluie de la BCE reste providentiel, le caractère dissuasif du programme OMT de la BCE pourrait cesser de produire ses effets, et le Mécanisme européen de stabilité (MES) s’avérer insuffisamment doté. Sans même parler du bricolage de l’Union bancaire et de la situation réelle des banques (selon Reuters, Dexia pourrait ainsi être exempté des stress tests à la demande de la BCE).
Cela part un peu dans tous les sens, et il en résulte un bouillonnement d’idées et de propositions. Des groupes de réflexion sont constitués, comme celui qui a choisi Eiffel comme enseigne et se présente « Pour une communauté politique de l’euro ». En Allemagne, il se dénomme Glienicke (du nom du pont où s’opéraient les échanges d’espions durant la guerre froide) et affiche en exergue « Vers une Union euro ». Un « Manifeste pour une union politique de l’euro » a paru à l’initiative de Thomas Piketty et de Pierre Rosanvallon. Des réseaux d’économistes comme le groupe EuroMemo poursuivent également leurs travaux. Tous tournent autour du même pot : comment conjuguer une réévaluation de la politique de désendettement et une relance européenne ? Dans leur diversité, les pistes poursuivies sont de la même famille et ont en commun d’être en rupture avec celle qui continue d’être appliquée.
Un groupe d’experts présidé par une ancienne membre du directoire de la BCE, Gertrude Tumpel-Gugerell, a remis le rapport que la Commission lui avait commandé l’été dernier. Il explore deux options : une émission obligataire commune de « bons du Trésor zone euro » (pour ne pas les appeler euro-obligations), et la création d’un fonds d’amortissement de la dette (appelé désormais de rédemption). Ces émissions de titres à deux ans permettraient aux États de se financer à un taux identique et de rompre la fragmentation financière, tandis que le fonds pourrait recueillir la dette dépassant la valeur de 60% du PIB dans chaque pays et en étaler le remboursement sur une période de 25 ans.
Mais l’écart entre ce qui est aujourd’hui revendiqué comme politique de manière toujours aussi définitive et ce type d’approche est tel que l’on s’interroge sur ce qui permettrait de le combler. Un simple changement de leadership européen y suffirait-il, ou bien une nouvelle crise aiguë serait-elle nécessaire ? La balle est en tout état de cause dans le camp des politiques, les marchés n’exerçant plus la même pression qu’auparavant quelles qu’en soient les raisons (ne justifiant plus la crainte d’une sanction et compliquant encore un peu le jeu !).
Matteo Renzi, le président du conseil italien, est dans l’immédiat à la manœuvre, dans la perspective de la présidence italienne de l’Union européenne du second semestre et de son intervention devant le Parlement européen, prévue pour le 2 juillet prochain. Il entend donner à cette occasion le coup d’envoi de la convocation d’une Convention destinée à amender les traités européens en s’appuyant sur les intentions partagées, allemande et britannique, de les modifier, chacun ayant ses objectifs propres. De son point de vue, il s’agirait de modifier les règles fiscales, de donner plus de flexibilité au seuil de 3% du PIB pour le déficit (en contrepartie de la réalisation de réformes structurelles), d’exclure de son calcul les dépenses consacrées à l’éducation ainsi que la recherche et le développement, et d’étaler dans le temps l’objectif de réduction de la dette à 60% du PIB. Les intentions sont volontairement mesurées mais ne réduiront pas la menace de la stagnation séculaire qui menace tout particulièrement l’Europe. Tout juste feront-elles gagner du temps.
Est symptomatique du déni qui se poursuit, entêté, le fait qu’à nouveau l’accent soit uniquement mis sur le désendettement public, et que celui des banques soit passé sous silence. Comme si l’adoption en décembre dernier de la directive décrivant les modalités de renflouement des banques, suivie de celle de l’Union bancaire en avril dernier, représentaient des remparts éprouvés dans le cas de nouveaux dérapages, et qu’allait toujours être donné aux banques, bon an mal an, le temps de s’assainir lentement en profitant des prodigalités de la BCE. Avec l’espoir qu’une division du travail serait enfin instituée : les autorités politiques créeraient les conditions d’un désendettement effectif des États en adaptant leur politique, et la BCE pouponnerait ses ouailles afin de les y aider.
Mais la relance de la construction européenne ne marchera pas du même pas que le désendettement. L’adoption de l’un ou l’autre des plans proposés par les groupes d’études – qui supposent tous une mutualisation de la dette, sous une forme ou sous une autre – sera soumise au préalable à la réalisation aléatoire de cette nouvelle étape, au risque de s’enliser. Quant aux demi-mesures envisagées par Matteo Renzi, elles ne produiront au mieux que des demi-effets…