Billet invité.
Combien de temps cela va-t-il pouvoir encore tenir sur le même mode ? Les derniers chiffres d’Eurostat sonnent le glas d’une politique dont l’argument se voulant décisif est qu’elle est la seule possible. La croissance de la zone euro a été de 0,2 % au premier trimestre 2014, à l’identique du précédent. Et ce résultat est dû aux 0,8 % de croissance allemande, car la liste des pays passés en territoire négatif s’allonge : l’Italie d’abord, mais aussi Chypre, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la Grèce, les Pays-Bas et le Portugal. Quant à la croissance française, elle est nulle. Les temps à venir ne se présentent pas mieux.
C’est le résultat prévisible de la politique de dévaluation interne. Il s’accompagne depuis octobre dernier de la persistance d’une inflation nettement inférieure à 1 %. Selon Eurostat, le taux d’inflation annuel est de 0,7 % en avril. Chypre, la Grèce, le Portugal et la Slovaquie sont en territoire négatif. La BCE a reconnu qu’une telle situation ne pouvait pas durer, mais elle a sorti de son chapeau des anticipations d’inflation de 1,6 % en 2016 sujettes à caution pour justifier son inaction. La combinaison d’une très faible croissance et du maintien de fortes pressions déflationnistes signe la période dans laquelle la zone euro est entrée et fait obstacle à la réussite de la stratégie de désendettement.
Les temps n’étant pas cléments, la Bundesbank – qui sait faire de la politique à l’occasion – s’est déclarée « prête à agir » et à soutenir les décisions de politique monétaire de la BCE que réclament les marchés, sans préciser lesquelles. Mais que peut-on effectivement attendre des mesures dont on entend parler partout, si ce n’est de colmater les brèches financières, sans plus d’effet ? Une des raisons pour lesquelles la BCE se fait prier ne serait-elle pas qu’elle est elle-même dubitative quant à la portée de sa capacité de réaction ? Depuis le temps qu’elle annonce qu’elle ne peut pas tout faire, et que les gouvernements doivent faire leur part, l’heure est-elle arrivée ?
Cela tomberait au plus mauvais moment, vu les taux de croissance et d’inflation, ces moyennes derrière lesquelles la fracture de la zone euro se dissimule sans être réduite. Celles-ci ne sont atteintes que grâce aux résultats de l’Allemagne, qui sont eux-mêmes fragiles. La croissance y repose sur la demande interne et la réalisation d’investissements de rattrapage, et non pas sur ses exportations, son point fort supposé, en raison de la méforme des pays émergents. Au bout du compte, on ne la voit pas tirer celle des autres pays européens.
La situation précaire de la France et de l’Italie, deuxième et troisième puissances de la zone euro, imprime désormais sa marque, substituant à cette nouvelle dynamique celle de la crise obligataire aiguë d’hier qui ciblait les pays périphériques (une accalmie restant précaire étant donné ses raisons). Aucun de ces deux pays n’est en mesure de s’inscrire dans le cadre qui lui est imparti, et le moment où il faudra en reconnaître l’évidence est seulement retardé. La confirmation de ce très gros grain de sable va coïncider avec l’élection du nouveau Parlement européen et la désignation de la nouvelle Commission ainsi que de son président. Autant que possible évacué, le débat va rebondir.
L’autre versant du désendettement, celui des banques, va donner lieu à un nouveau simulacre – simplement plus sophistiqué que les précédents – auquel vont se prêter l’EBA et la BCE, faute d’un accord des chefs d’État et de gouvernement sur une Union bancaire leur permettant de mener une réelle opération vérité et d’en tirer les conséquences. Selon Bloomberg, qui s’appuie sur des sources parlementaires européennes, Mario Draghi aurait exercé ces derniers mois de discrètes pressions sur la Commission pour s’opposer à une interprétation « improprement stricte » des nouvelles règles du bail-in pour les banques dont la BCE découvrirait les faiblesses, contredisant les affirmations péremptoires selon lesquelles les sauvetages bancaires sur fonds publics sont désormais exclus. Est-ce cela que la BCE a en tête lorsqu’elle demande aux gouvernements de prendre leur part, toute à sa mission de sauvegarde du système financier ? Il y a les règles, mais aussi les exceptions que peut décider la Commission !
Une fois les élections européennes et le coup de semonce qu’elles vont représenter passés, le rideau va s’ouvrir sur un nouvel acte. Celui des petits accommodements et des grosses finasseries, afin de faire coïncider les principes intangibles avec des résultats qui les démentent. Ce jeu là aussi, combien de temps va-t-il pouvoir durer ? Avec eux, tout est possible : le candidat qui tient la corde pour la succession de José Durão Barroso à la présidence de la Commission était le premier ministre d’un État à la fois fondateur de l’Union européenne et principal paradis fiscal de la zone euro : Jean-Claude Juncker. Encore bravo !