Billet invité.
La course au rendement est repartie de plus belle et la fête bat son plein. Le retour de l’appétit au risque est généralisé, et l’on en voit les effets sur tous les marchés. Les Bourses sont en surchauffe, les marchés obligataires public et privé connaissent l’euphorie, les opérations de fusions-acquisitions se multiplient… Les États restent soumis à la diète, mais les acteurs financiers disposent d’une abondance de liquidités accessibles à des taux proches de zéro, avec la garantie des banques centrales que cela va continuer ainsi longtemps, quand elles ne résultent pas d’une création monétaire dont l’assèchement dans l’avenir est problématique. À part cela, tout va bien !
On voit sur quoi repose cette embellie, mais l’on n’a pas tout vu de ses manifestations dans un domaine particulièrement sensible : celui du crédit aux particuliers qui repart aux États-Unis. Une variante de la crise des subprimes y est en cours sur le marché du crédit automobile (dont le volume n’atteint pas celui du crédit immobilier). Vient s’y ajouter la crise du marché des prêts étudiants, qui sont financés sur fonds publics, tout comme les prêts immobiliers étaient garantis par Fannie Mae et Freddie Mac, ces deux entités créées par le Congrès en vue de protéger les investisseurs au prétexte de faire baisser les taux.
Fin 2013, 40 millions de prêts étudiants étaient contractés, représentant un volume global de 1.100 milliards de dollars – un montant qui dépasse l’encours des cartes de crédit. Le taux de défaut grimpe, sept millions d’étudiants étant dans ce cas d’après l’administration du Trésor. En raison de leur historique de crédit, ils auront des difficultés à obtenir ultérieurement un prêt immobilier ou automobile (et même à trouver un emploi, tant cet historique pèse aux États-Unis comme un casier judiciaire non vierge). Si l’on cherche une illustration de la dégradation en cours des classes moyennes américaines, pas besoin d’aller plus loin.
Pas besoin de traverser l’Atlantique non plus. L’Espagne enregistre une croissance positive de 0,4 % en rythme trimestriel, après avoir connu deux récessions en cinq ans, et prévoit de dépasser 1 % en 2014. Mais le taux de chômage atteint près de 26 %, cette hausse du taux résultant d’une baisse de la population active, qui résulte elle-même d’une émigration économique qui se renforce.
Peut-on dans ces conditions véritablement parler de reprise ? Selon Patrick Artus, de Natixis, le retour à la situation d’avant la crise sur le marché du travail pourrait prendre 25 ans en Espagne (autant dire que l’on ne sait pas). Illustrant la situation, la croissance sans emplois prend corps, illustrant une décorrélation destinée à durer, à nouveau au détriment des classes moyennes. Incitant à s’interroger sur la nature de cette croissance qui ne procure pas de bien-être. Ainsi que sur la finalité d’une activité financière toute entière consacrée à la reproduction et l’accroissement d’une richesse sans utilité sociale, mais avec comme effet l’élargissement des inégalités.