LE BIEN MAIGRE BILAN DE L’UNION BANCAIRE, par François Leclerc

Billet invité : paru dans Atlantico

C’est in extremis, en toute fin de mandature, que le Parlement européen va ce 15 avril voter l’instauration d’une Union bancaire à laquelle il est prêté bien plus qu’elle ne pourra effectivement résoudre, comme en témoigne la tonalité souvent sceptique des commentaires des analystes financiers. Dès qu’il s’agit des banques, il est conseillé d’y regarder à deux fois, et l’Union bancaire n’y déroge pas, surtout si l’on considère les superlatifs accompagnant sa naissance employés par ses pères.

C’est dans la nuit du 19 au 20 mars dernier qu’un accord de compromis a été trouvé à son sujet entre les ministres des Finances et le Parlement européen, après un an et neuf mois de conciliabules incessants au niveau ministériel, le Conseil européen ayant décidé en juin 2012 de mettre en place un mécanisme de supervision unique des banques. Celui-ci, confié à la BCE pour entrer en service à la fin de l’année, il restait à mettre laborieusement au point le second pilier de l’Union bancaire : son mécanisme de résolution. Afin de déterminer, une fois un problème constaté par la BCE, par qui et comment les décisions s’imposant seront prises, et de quels moyens financiers l’on disposera. L’intention était de mettre sur pied un mécanisme permettant de dénouer le cercle vicieux institué entre dette publique et dette bancaire, cette faiblesse intrinsèque de la crise financière européenne, mais le compte n’y est pas.

Les limites instaurées à la mutualisation des décisions et à celui du financement des renflouements bancaires ne le permettent pas, tout comme la faiblesse des moyens financiers dégagés. Le filet de sécurité des États reste en dernière instance déterminant, laissant le problème entier.

Le dispositif s’appuie sur le principe du « bail-in » (renflouement interne), qui met prioritairement à contribution les actionnaires ainsi que les détenteurs d’obligations convertibles et subordonnées et préserve les dépôts inférieurs à 100.000 euros. Mais, vu les effets de levier gigantesques des banques, cela ne mènera pas très loin en cas de gros pépin. Pour l’illustrer, on peut se référer aux estimations qui circulent à propos du montant des créances douteuses inscrites au bilan des banques européennes. La dernière en date est celle du FMI, dans son rapport annuel sur la stabilité financière, qui avance le montant de 800 milliards de dollars à ce jour pour les banques de la zone euro, qui ne peut qu’augmenter en raison de la situation économique et des difficultés des entreprises à trouver du crédit.

Huit ans vont être nécessaires (le Parlement souhaitait trois) pour réunir grâce aux cotisations des banques un montant de 55 milliards d’euros au sein de leur Fonds de sauvetage, dont 75% devraient être disponibles dès 2018, trois ans après son lancement en 2015. Ce montant est-il réellement à la hauteur des enjeux ? On est autorisé à en douter, les analystes de Royal Bank of Scotland estiment ainsi qu’il permettra au mieux, mais une fois réuni, de sauver deux ou trois banques de taille moyenne, et il faut se souvenir que celui de Hypo Real Estate avait nécessité 102 milliards d’euros en 2008 et 2009.

Le Fond de sauvetage est dit unique, mais il sera composé de compartiments nationaux (les cotisations des banques d’un pays ne pouvant être affectées qu’au sauvetage d’une ou de plusieurs banques de ce même pays), et leurs ressources seront progressivement mises en commun au cours des 8 ans de sa mise en place progressive, suivant des modalités et un calendrier qui sera défini dans un règlement intérieur faisant l’objet d’un accord intergouvernemental ultérieur.

De quels moyens les autorités européennes vont-elles disposer en attendant que ces fonds soient disponibles, une fois que la BCE aura réalisé à l’automne 2014 son analyse des bilans bancaires des 128 banques européennes qu’elle a sélectionnées, et l’Autorité bancaire européenne (EBA) une nouvelle version de ses stress-tests ? Les ministres des finances ont répondu le 15 novembre dernier à cette interrogation en précisant que les banques en difficulté devront « dans un premier temps » faire appel au marché ou céder des actifs… ce qui pourrait impliquer des garanties publiques.

Si les fonds réunis sont insuffisants une fois le Fonds de sauvetage ayant commencé à monter en puissance, que faire ? L’accord intervenu prévoit que celui-ci devra, suivant des modalités qui n’ont pas été définies, aller sur le marché tout en ayant recours « si possible » à des garanties publiques. Il n’est pas prévu qu’il puisse se financer auprès du Mécanisme européen de stabilité (MES), car cela reviendrait une mutualisation du sauvetage, qui a été écartée.

L’attention a été focalisée sur le processus de décision de renflouement (ou de fermeture) d’une banque. Le gouvernement allemand voulait préserver un rôle important des États et les aller-retour prévus entre les différentes institutions créeraient un processus à la lenteur incompatible avec une prise de décision rapide, comme il est nécessaire dans ce genre d’affaire. Ce rôle a été amoindri, afin qu’elle puisse être bouclée l’espace d’un weekend, quand les marchés sont fermés, mais les gouvernements gardent un recours. Cela fait par ailleurs peu de cas de la nécessité qu’ils soient ouverts pour que les positions spéculatives de la banque renflouée soient dénouées, laissant la porte ouverte à des spéculations à son encontre faisant monter l’addition de son renflouement.

L’ensemble de ces mécanismes continue de faire largement reposer de facto sur les finances publiques les sauvetages bancaires qui pourraient intervenir en raison de la sous-capitalisation notoire des banques européennes. Il conduit à s’interroger par avance sur la qualité de l’examen des bilans bancaires que la BCE a engagé, ainsi que sur les résultats des stress tests de l’ABN. Nul ne peut mettre en doute la volonté de la BCE de se faire une idée précise de l’état de santé réel des banques, mais comment va-t-elle valoriser les produits structurés dont les banques sont largement lestées ? Comment prendre en compte les interactions systémiques entre les banques étant donné l’enchevêtrement de leurs engagements réciproques ? Saura-t-elle résister aux pressions des banques qui cherchent à ce que certaines classes d’actifs échappent à son examen (comme les prêts hypothécaires en Allemagne) ? On ne s’interrogera pas, en tout cas, sur le fait qu’elle ne rendra public au final que ce qu’elle estimera soluble avec les moyens disponibles du moment, d’où une incontestable suspicion.