CRISPATION DANS LES HAUTES SPHÈRES, par François Leclerc

Billet invité

Ambiance, ambiance ! Ce jeudi 3 avril, Mario Draghi a vertement répliqué au jugement exprimé la veille par Christine Lagarde qui avait estimé « nécessaire » que la BCE recourre à des « mesures non conventionnelles » afin d’éloigner le risque de déflation. En référence à son conseil, il a déclaré : « j’aimerais que le FMI soit aussi généreux qu’il l’a été avec nous avec d’autres institutions de politique monétaire, en publiant par exemple des communiqués juste le jour précédent une réunion du comité de politique monétaire de la Fed ». Un tel agacement n’est pas dans les habitudes des banquiers centraux et illustre l’impasse dans laquelle la BCE se trouve, avec comme conséquence la décision de ne rien faire, tout en alimentant les interrogations sur ce qu’elle pourrait engager afin d’occuper la galerie…

Le président de la BCE n’a pas pu relever un autre conseil dérangeant de l’OCDE qui préconise dans un nouveau rapport « un ralentissement du rythme de la consolidation monétaire », sa publication intervenant après sa conférence de presse. Mais il ne s’est pas privé d’asséner que « saper les règles établies sape la confiance » pour commenter comme il lui était demandé l’intention de Michel Sapin, le nouveau ministre français des finances, de discuter à Bruxelles du rythme de réduction du déficit public de la France.

Comme c’était donc attendu, le verdict de la BCE est tombé : rien n’a été changé. Son taux directeur reste fixé à 0,25 % et les mesures non conventionnelles restent au placard. Avec comme seule inflexion la poursuite de l’escalade verbale de Mario Draghi : « nous n’excluons pas un nouveau relâchement » de la politique monétaire a-t-il annoncé, ajoutant pour donner du poids à cette intention que le conseil des gouverneurs était « unanime » à cet égard. Une précision à double sens, car elle implique qu’une même unanimité serait requise pour passer à l’acte ! Nourrissant dans l’immédiat les spéculations sur le calendrier d’une opération d’achat d’actifs sur le marché secondaire en évoquant sa possibilité, celle-ci pouvant intervenir après les élections européennes ou suite à l’annonce du résultat des tests des bilans bancaires. En jugeant que le niveau de l’euro par rapport aux autre devises était un élément « très important » de la stabilité des prix, Mario Draghi a aussi voulu signifier que ce niveau pourrait être un critère d’intervention en l’intégrant dans le cadre de son mandat.

Mais tout cela reste au niveau des intentions et a un petit côté « retenez-moi ou je fais un malheur ! ». La véritable question étant l’effet concret qu’aurait une politique de création monétaire non accompagnée d’un assèchement correspondant des liquidités. Aux États-Unis, il en résulte la formation d’une bulle financière, ce qui fait réfléchir. La véritable question est que la consolidation budgétaire (la résorption des déficits publics) engendre une pression déflationniste qui va se poursuivre tant qu’elle ne sera pas réévaluée. La dévaluation interne et l’austérité budgétaire sont les deux moteurs de la déflation, et la BCE, qui appuie cette politique contre vents et marées, n’a pas les moyens d’en contrer des effets qu’elle voudrait au moins contenir. Elle s’est déjà mis sur le dos la responsabilité de la supervision bancaire sans trop savoir où elle va, soumise aux pressions des banques qui cherchent à assouplir ses critères de qualité de leurs actifs, mettant en jeu sa réputation disent les commentateurs qui y croient encore. Car si l’on ne peut plus se fier à sa banque centrale, que reste-t-il ?

Les investisseurs poussent à l’adoption d’une politique de création monétaire qui remédierait à l’insuffisance des fonds propres des banques et financerait leurs activités sur les marchés. Mais la BCE s’est fixée comme tâche prioritaire d’y voir clair dans les bilans bancaires, quitte à ne rendre public que ce qui lui conviendra. Après, on verra ce qu’on verra ! Certainement la poursuite pour une longue période d’un taux directeur proche de zéro permettant aux banques de se financer quasi gratuitement. Une situation bien proche de celle qu’a connue le Japon, à ceci près que la BCE se ferait fort d’obtenir des banques qu’elles nettoient progressivement leurs bilans.

Rien n’a changé, les banques passent d’abord. Le reste est du bavardage.