Billet invité.
La piste avait été tracée en Italie, et le gouvernement français va en profiter. De recul en recul, il s’avère que l’objectif de réduction à 3% du budget du déficit public n’est pas atteignable, car il n’est pas envisageable de faire plonger ces deux pays comme cela a été imposé à l’Espagne, la Grèce, le Portugal et l’Irlande. Mais si Matteo Renzi, le président du Conseil italien, a ouvertement mis en cause ce seuil « anachronique » imprudemment gravé dans le marbre, les autorités françaises ont adopté comme ligne de conduite de discuter de son rythme, employant l’argument si souvent rencontré dans la bouche du gouvernement américain : « ce qui est bon pour la France est bon pour l’Europe ». L’autre différence étant que l’Italie reste – tout du moins pour le moment – en dessous du seuil décrié, sauvant ainsi les apparences, tandis que la France en est à 4,3%, ce qui dans les faits remet en cause le cadre imparti et la politique qui va avec, mais sans le dire.
Quel que soit le mode choisi, cette remise en question ne s’accompagne pas de l’affirmation d’une autre politique et ne peut prétendre qu’à la formulation indécise et sans le revendiquer d’un plan A’, c’est à dire à un simple assouplissement de la stratégie de désendettement qui bute sur un obstacle incontournable : la montée de la crise sociale et politique qu’elle induit. Les formations se réclamant de la social-démocratie se révèlent incapables, comme déjà constaté, de concevoir et défendre une politique alternative, ce qui explique qu’elles ont perdu l’initiative et se contentent de manœuvres dilatoires et de négociations à l’arraché à Bruxelles.
Faut-il croire que cette incapacité de la social-démocratie correspond à la fin de son histoire ? Que celle-ci ne bénéficiant plus, lorsqu’elle parvient aux affaires, des moyens de faire du social comme c’est sa marque de fabrique, en serait venue à se renier pour désormais endosser les habits neufs du social-libéralisme ? La crise nous a fait entrer dans une nouvelle période, dont le FMI vient de décrire les manifestations. À sa manière, Christine Lagarde évoquait hier « des années de faible croissance [à venir], et un fort contraste entre l’activisme des traders et la prudence des hommes politiques ». De fait, Wall Street poursuit son embellie sur sa lancée, retrouvant son niveau de 2007 grâce aux injections massives de liquidité des banques centrales qui ne sont pas redescendues dans l’économie. Exprimant une situation duale, le système financier se relance dangereusement sur fond de croissance économique atone.
La politique poursuivie en Allemagne dans les années 2002 par Gerhard Schröder a ensuite abouti à une très forte hémorragie électorale du SPD – l’abstention aux élections fédérales progressant simultanément – dont celui-ci ne s’est depuis jamais remis. Une même désaffection structurelle est-elle en train de se répéter en France, dans des circonstances différentes ? La recomposition du paysage politique européen se poursuit lentement, pays par pays; elle s’inscrit dans le cadre du renforcement d’un système électoral favorisant les grands partis de gouvernement. Il faut une situation extrême à la grecque pour qu’un nouveau parti émerge – Syriza – et qu’il puisse prétendre gagner les élections (mais tout sera fait pour l’en empêcher, et cela a déjà commencé). Dans ce contexte d’impasse, les voies nouvelles de l’affirmation démocratique d’une société alternative peinent à se dessiner.