Billet invité.
« Ce qui fera la force de ce gouvernement, c’est de tenir le cap sur des politiques et des réformes qu’il a commencé à conduire, qui n’ont certes pas encore toutes porté leurs fruits »
Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement français (ce lundi matin, interrogée sur France 2).
Aux États-Unis, le Congrès continue bon an mal an de déplafonner le montant de la dette publique fédérale, qui continue vaille que vaille de progresser. Au Japon – qui détient de loin la palme de l’endettement public – le budget de l’État est financé à plus de 40% par l’émission de titres obligataires et les plans de relance sur fonds publics se succèdent. Prétendant adopter un comportement vertueux, l’Union européenne a tout au contraire adopté une règle d’or imposant l’objectif de l’équilibre budgétaire et le plafonnement de la dette. Mais celle-ci s’accompagne d’une mise en cause de l’État providence – avec pour effet la cristallisation des inégalités sociales – et non pas du retour de la croissance économique attendue.
Si le doigt est pointé de partout sur le montant démesuré de la dette publique, un autre chiffre est plus impressionnant encore. C’est celui du cumul de la dette publique, des entreprises et des sociétés financières (hors dette des particuliers), dont le montant global a été multiplié par 2,5 en l’espace de 12 ans. Selon la Banque des règlements internationaux, il a atteint 100.000 milliards de dollars, ce qui permet de mieux comprendre d’où provient la démesure de l’univers financier : la machine à fabriquer de la dette a fonctionné à plein rendement durant la décennie passée. Ce ne sont pas seulement les États qui ont vécu « au-dessus de leurs moyens » (restreints par la crise économique ou rognés par la fraude et l’optimisation fiscale), mais l’ensemble des acteurs économiques. L’insolvabilité est en réalité généralisée, l’endettement ayant atteint une dimension telle qu’il en est venu à menacer la stabilité du système financier, qui est condamné à la rechercher en peinant à doser sa régulation et en employant des artifices se révélant fragiles.
Pour être appréhendé dans sa totalité, l’endettement devrait également prendre en compte la dette des particuliers, dont le montant peut dépasser celui de la dette publique (comme c’est le cas aux États-Unis), mais la statistique de son cumul mondial reste introuvable ! En comparant pays par pays les proportions respectives de la dette publique et privée, on distingue néanmoins deux modèles – anglo-saxon et européen – qui sont en rapport avec l’ampleur de l’intervention de l’État : moins celle-ci est développée, plus l’endettement des particuliers est élevé. Avec comme conséquence que lorsque la réduction de la dette publique se fait au détriment du niveau des prestations sociales, les particuliers sont appelés à prendre le relais en s’endettant (s’ils en ont les moyens). Ce système de vases communicants vise à préserver le volume global de la dette, car c’est de celle-ci que le système financier tire au bout du compte ses revenus. À l’inverse de celui des États, l’endettement des particuliers n’est pas combattu mais recherché, avec pour objectif de garantir à la fois le maintien de la consommation et de la rente, mais le danger est dans ce domaine aussi d’aller trop loin, comme la crise des subprimes l’a montré.
Le système est pris en tenaille entre les effets d’une restructuration d’ensemble de la dette publique et la menace qui résulterait de l’hyperinflation, au cas où celle-ci serait déclenchée par une monétisation de la dette qui ne se résumerait pas à la formation de nouvelles bulles financières. La voie entre les deux est comme on l’observe, très étroite. Comment se débarrasser de la dette et stopper l’accroissement des inégalités – et de l’endettement des particuliers pour partiellement y pallie – sont les deux faces d’une même question laissée sans réponse. De plus en plus de voix s’élèvent pour s’inquiéter de cette progression, mais rien n’est fait pour identifier sa cause et l’arrêter. Chaque fois qu’une question à laquelle il ne faudrait pas échapper est abordée, comme l’est également celle de la gestion des ressources de la planète, le laissez-faire l’emporte et le dérapage se poursuit.
Que se passe-t-il actuellement en Europe, une fois constatée l’insuffisance du filet de sécurité que devait représenter l’Union bancaire ? On bricole afin de tenter de rendre soutenable une stratégie intenable. Les hauts fonctionnaires européens révisent la méthodologie du calcul du déficit budgétaire, avec pour conséquence d’impliquer un zeste moins de mesures de rigueur pour qu’il passe plus tard, hypothétiquement, sous le seuil de 0,5% du budget. Tentant de profiter de vents favorables, Harlem Désir (du parti socialiste français) propose de soustraire du même calcul « une partie des dépenses d’éducation, de recherche et d’innovation », car elles représentent un investissement pour l’avenir. Nos édiles essayent de rogner à la marge les contraintes qu’elles ont elles-mêmes adoptées. Plus radicaux, mais n’étant pas écoutés, 74 économistes de tous les pays rejoignent les 70 personnalités portugaises qui ont préconisé une restructuration de la dette et signent un nouveau manifeste en ce sens.
Au point où nous en sommes, y a-t-il encore une échappatoire et pour combien de temps ?